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    Lettre de Liaison n°108

    8 octobre 2018

     

    L’ESPRIT MESSAGER

     

    Tu te souviens, lorsque tu avais neuf-dix ans, combien le passage dans la Grande Ecole te semblait difficile, risqué ? Combien les « grands » de onze-douze ans pouvaient t’impressionner, par leur taille, leur allure, l’assurance qui émanait d’eux ?

    Plus tard, combien tu fus rempli de stress à l’approche des examens de fin d’études secondaires, d’angoisse, de crainte de l’échec, face à ce que tu percevais alors comme des épreuves considérables, où se jouait « tout ton avenir »…

    Comment considères-tu les garçons, les filles de onze-douze ans maintenant ?

    Ainsi de toutes choses sur notre chemin, selon la nature du regard que nous portons sur elles.

    Vois autour de toi ceux qui se noient dans un verre d’eau, du matin au soir, convaincus qu’il s’agit là du gouffre le plus infranchissable qu’ils aient connu !

    L’esprit messager que j’ai à partager avec toi est aux antipodes de ces angoisses, ces phobies.

    « Messagers » nous le sommes sans fanfare ni uniforme, porteurs d’une autre attitude, d’une autre altitude, face aux obstacles, aux problèmes réels sur notre route.

    J’ai sous les yeux une image qui ne me quitte pas : celle du désert ocre du Sahel, pas très loin de la Petite Côte sénégalaise. A l’horizon, un unique baobab tend ses branches tordues et nues vers le ciel. Tout ce qui pousse là ce sont les ronces rampantes, connues sous le nom de kham-kham. Symbole et réalité de la terre la plus aride qui soit, hostile, sans merci.

    Pourtant, quatre hommes d’Afrique sont rassemblés autour d’un trou cimenté de deux mètres de diamètre, et l’un d’eux (le puisatier) installe une poulie sur une branche en fourche. Pour ces hommes, le puits qui vient d’être creusé signe le début d’une vie nouvelle. L’eau qu’ils vont en remonter va redonner vie à la terre sèche et sableuse, et permettre ce qui s’appelle, à juste titre, des cultures vivrières : des cultures qui permettent de passer du stade de la survie à celui de la vie.

    La chance est parfois avec nous : au Mali, l’eau est à 60 mètres de la surface la plupart du temps. Pour y accéder il faut tout un équipement venu de pays lointains, à grands prix. Ici, l’eau nourricière n’est qu’à 7-8 mètres de profondeur.

    Lorsque tu survoles cette partie du Sahel à mille mètres, tu es surpris par le nombre de cercles clairs qui marquent la terre comme autant de cratères d’une maladie incurable. Ce sont des vestiges de termitières. Aux cicatrices laissées par ces parasites, il est si simple de substituer les cercles parfaits de puits qui permettent aux habitants de mettre en valeur une parcelle de terre pour transformer la détresse en subsistance.

    En l’an 2000, le creusement et la construction d’un puits coûtaient l’équivalent de 300 €.

    L’achat d’un hectare de terrain, dans cette partie du désert, à quelques kilomètres de la côte atlantique seulement, 200.000 Francs CFA, soit encore 300 €. La tonne de ciment était à 58.000 Francs CFA : 90 €. Avec les barres de fer à béton, et le transport, il y en avait pour 90.000 CFA : 137 €.

    Voilà le message qui est le nôtre : pour quelques centaines d’euros, nous pouvons donner les moyens à une famille de s’arracher à la sous-nutrition, à la misère, et à leurs conséquences.

    Nous sommes fatigués des discours, des « paroles sacrées », des jérémiades et de tous ces prétextes dont les hommes s’entourent pour mieux s’enfoncer dans leur marigot intime, se noyer dans leurs verres d’eau ou de vin quotidien.

    Ce que nous voulons, c’est une pelle, une pioche, un seau, et quelques poignées de billets pour faire venir la camionnette de ciment et de fers à béton. Une pompe mécanique de modèle indonésien, fabriquée sur place à Ngekokh, coûte une centaine d’euros.

    Le message, pour nous, c’est la présence, l’outil, les matériaux.

    Le scandale absolu, au troisième millénaire, c’est que des êtres humains puissent croupir dans la disette, l’abandon, sans eau, sans lumière lorsque tombe la nuit.

     

    Une lampe solaire de 60 LED, qui transforme tout espace sombre en zone lumineuse, coûte seulement une vingtaine d’euros aujourd’hui. 60 LED : Light Emitting Diodes = Diodes ElectroLuminescentes. Ce ne sont pas les moyens qui nous manquent ! Seulement la vision, l’éveil de la conscience, et la volonté qui va avec.

    En apportant l’eau et la lumière, messager d’apaisement mutuel et de quiétude, c’est ton propre monde que tu commences à éclairer. Souviens-toi de la question : « Qu’est-ce que ‘les Lumières ?’ »

     

    Les Lumières (« l’Aufklärung » allemand), « c’est la sortie de l’homme de sa minorité, dont il est lui-même responsable », disait un philosophe d’un siècle passé, jamais oublié (Emmanuel K.). « La minorité », précisait-il, comme d’un enfant mineur, «c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside (…] dans un manque de décision et de courage… ».

       

    Messagers, nous sommes juste des diodes humaines, capables d’émettre de la lumière -lumière douce, paisible - lorsque nous sommes parcourus par le triple courant de la conscience, de la responsabilité, de la simple solidarité. 

    C’est plus qu’une image. C’est un engagement personnel, pour redonner du sens à la vie.

    « On ne connaît que les choses que l’on a apprivoisées, dit le renard [au Petit Prince]. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. »

    Autant que de « paix » : de quiétude (le contraire de l’inquiétude), tu deviens messager d’amitié possible, crédible, par ta présence, et les transformations que tu apportes.

    Tu vas apprendre à connaître, chemin faisant, les hommes, les femmes de là-bas, leurs conditions, avec les actes simples de nos mains, pour que l’on puisse y croire.

    Avec mes deux mains, comme chantent et dansent tous ces musiciens réunis par Playing For Change, du Népal, d’Espagne, du Brésil, d’Haïti, des Etats-Unis, du Canada, du Burkina Faso, d’Argentine, des Philippines : « Je veux changer le monde, avec mes deux mains, faire un monde meilleur, avec mes deux mains, faire un monde plus doux, avec mes deux mains… »

    https://www.youtube.com/watch?v=Sc8t6BZUSJs

     

    Tu peux dire que, en partant pour le Sahel, tu cherches des hommes… là où tu n’en as pas trouvé autour de toi, à Abidjan, Paris, Béziers ou Montmirail… Autrement dit, tu cherches un nouveau type de relation, correspondant à une autre sorte de besoin, dans l’urgence, et la confiance pratique, vérifiable – que donnent les actes plutôt que les paroles.

       

    « Je cherche un homme ! » criait déjà Diogène, sa lanterne allumée en plein jour.

    Ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, ce sont les moyens dont nous disposons, à si faible coût, pour passer des ténèbres à la lumière, de la sous-alimentation à la suffisance alimentaire : de l’ordre de 500 euros pour un puits tout équipé. 100 euros pour donner la lumière à un foyer.

    Alors, cet « homme », s’il faut aller au Sahel pour le trouver, ce n’est pas si loin en avion. Et nous en ramènerons la force d’un rapport nouveau, avec soi-même, et les autres, là où nous sommes.

    « Un homme » cela n’existe pas. Ce qui existe, ce sont ces rapports concrets que nous créons entre les hommes, les êtres humains, chemin faisant, à partir d’actes indiscutables, gratuits, qui se passent de commentaires.

    « Le langage est source de malentendus » savait le renard du Petit Prince.

    Nous sommes déjà nombreux à supporter difficilement l’insondable petitesse, la mesquinerie, l’atroce misère humaine, mentale de nos environnements, dans ce qui ressemble de plus en plus à un désert relationnel vertigineux. De plus en plus nombreux à envisager l’exil même, pour en sortir, et oublier cette froideur, cette lourdeur insensées qui se répandent dans les pays que l’on dit riches comme dans les pays pauvres, où la fièvre du profit personnel (de la « carrière », du statut) a tout perverti.

    La solution risque d’être de se faire hirondelles. De nous répartir entre des chantiers sous les tropiques – pour le développement, l’alphabétisation – et ces latitudes nordiques où les gens vivent claquemurés, cadenassés dans leurs obsessions, entre ressassement et ressentiment, avec l’argent, l’argent toujours comme horizon et pauvre raison (d’être ?).

    A la question centrale de toute vie : « qu’as-tu fait de ton talent ? », il nous viendra alors un sourire mutin, enfantin : sans doute peu de choses au final, mais si j’ai contribué à creuser des puits dans le désert, et à faire jaillir de la lumière des ténèbres…

     

    La lassitude, en chemin, est parfois intense (« il est absurde de chercher un puits, au hasard, dans l’immensité du désert. ») Cependant, l’essentiel est de se mettre en chemin.

    « Ce qui embellit le désert, dit le petit prince, c’est qu’il cache un puits quelque part… » .  

     
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    L’ESPRIT MESSAGER

     

    Tu te souviens, lorsque tu avais neuf-dix ans, combien le passage dans la Grande Ecole te semblait difficile, risqué ? Combien les « grands » de onze-douze ans pouvaient t’impressionner, par leur taille, leur allure, l’assurance qui émanait d’eux ?

    Plus tard, combien tu fus rempli de stress à l’approche des examens de fin d’études secondaires, d’angoisse, de crainte de l’échec, face à ce que tu percevais alors comme des épreuves considérables, où se jouait « tout ton avenir »…

    Comment considères-tu les garçons, les filles de onze-douze ans maintenant ?

    Ainsi de toutes choses sur notre chemin, selon la nature du regard que nous portons sur elles.

    Vois autour de toi ceux qui se noient dans un verre d’eau, du matin au soir, convaincus qu’il s’agit là du gouffre le plus infranchissable qu’ils aient connu !

    L’esprit messager que j’ai à partager avec toi est aux antipodes de ces angoisses, ces phobies.

    « Messagers » nous le sommes sans fanfare ni uniforme, porteurs d’une autre attitude, d’une autre altitude, face aux obstacles, aux problèmes réels sur notre route.

    J’ai sous les yeux une image qui ne me quitte pas : celle du désert ocre du Sahel, pas très loin de la Petite Côte sénégalaise. A l’horizon, un unique baobab tend ses branches tordues et nues vers le ciel. Tout ce qui pousse là ce sont les ronces rampantes, connues sous le nom de kham-kham. Symbole et réalité de la terre la plus aride qui soit, hostile, sans merci.

    Pourtant, quatre hommes d’Afrique sont rassemblés autour d’un trou cimenté de deux mètres de diamètre, et l’un d’eux (le puisatier) installe une poulie sur une branche en fourche. Pour ces hommes, le puits qui vient d’être creusé signe le début d’une vie nouvelle. L’eau qu’ils vont en remonter va redonner vie à la terre sèche et sableuse, et permettre ce qui s’appelle, à juste titre, des cultures vivrières : des cultures qui permettent de passer du stade de la survie à celui de la vie.

    La chance est parfois avec nous : au Mali, l’eau est à 60 mètres de la surface la plupart du temps. Pour y accéder il faut tout un équipement venu de pays lointains, à grands prix. Ici, l’eau nourricière n’est qu’à 7-8 mètres de profondeur.

    Lorsque tu survoles cette partie du Sahel à mille mètres, tu es surpris par le nombre de cercles clairs qui marquent la terre comme autant de cratères d’une maladie incurable. Ce sont des vestiges de termitières. Aux cicatrices laissées par ces parasites, il est si simple de substituer les cercles parfaits de puits qui permettent aux habitants de mettre en valeur une parcelle de terre pour transformer la détresse en subsistance.

    En l’an 2000, le creusement et la construction d’un puits coûtaient l’équivalent de 300 €.

    L’achat d’un hectare de terrain, dans cette partie du désert, à quelques kilomètres de la côte atlantique seulement, 200.000 Francs CFA, soit encore 300 €. La tonne de ciment était à 58.000 Francs CFA : 90 €. Avec les barres de fer à béton, et le transport, il y en avait pour 90.000 CFA : 137 €.

    Voilà le message qui est le nôtre : pour quelques centaines d’euros, nous pouvons donner les moyens à une famille de s’arracher à la sous-nutrition, à la misère, et à leurs conséquences.

    Nous sommes fatigués des discours, des « paroles sacrées », des jérémiades et de tous ces prétextes dont les hommes s’entourent pour mieux s’enfoncer dans leur marigot intime, se noyer dans leurs verres d’eau ou de vin quotidien.

    Ce que nous voulons, c’est une pelle, une pioche, un seau, et quelques poignées de billets pour faire venir la camionnette de ciment et de fers à béton. Une pompe mécanique de modèle indonésien, fabriquée sur place à Ngekokh, coûte une centaine d’euros.

    Le message, pour nous, c’est la présence, l’outil, les matériaux.

    Le scandale absolu, au troisième millénaire, c’est que des êtres humains puissent croupir dans la disette, l’abandon, sans eau, sans lumière lorsque tombe la nuit.

     

    Une lampe solaire de 60 LED, qui transforme tout espace sombre en zone lumineuse, coûte seulement une vingtaine d’euros aujourd’hui. 60 LED : Light Emitting Diodes = Diodes ElectroLuminescentes. Ce ne sont pas les moyens qui nous manquent ! Seulement la vision, l’éveil de la conscience, et la volonté qui va avec.

    En apportant l’eau et la lumière, messager d’apaisement mutuel et de quiétude, c’est ton propre monde que tu commences à éclairer. Souviens-toi de la question : « Qu’est-ce que ‘les Lumières ?’ »

     

    Les Lumières (« l’Aufklärung » allemand), « c’est la sortie de l’homme de sa minorité, dont il est lui-même responsable », disait un philosophe d’un siècle passé, jamais oublié (Emmanuel K.). « La minorité », précisait-il, comme d’un enfant mineur, «c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside (…] dans un manque de décision et de courage… ».

       

    Messagers, nous sommes juste des diodes humaines, capables d’émettre de la lumière -lumière douce, paisible - lorsque nous sommes parcourus par le triple courant de la conscience, de la responsabilité, de la simple solidarité. 

    C’est plus qu’une image. C’est un engagement personnel, pour redonner du sens à la vie.

    « On ne connaît que les choses que l’on a apprivoisées, dit le renard [au Petit Prince]. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. »

    Autant que de « paix » : de quiétude (le contraire de l’inquiétude), tu deviens messager d’amitié possible, crédible, par ta présence, et les transformations que tu apportes.

    Tu vas apprendre à connaître, chemin faisant, les hommes, les femmes de là-bas, leurs conditions, avec les actes simples de nos mains, pour que l’on puisse y croire.

    Avec mes deux mains, comme chantent et dansent tous ces musiciens réunis par Playing For Change, du Népal, d’Espagne, du Brésil, d’Haïti, des Etats-Unis, du Canada, du Burkina Faso, d’Argentine, des Philippines : « Je veux changer le monde, avec mes deux mains, faire un monde meilleur, avec mes deux mains, faire un monde plus doux, avec mes deux mains… »

    https://www.youtube.com/watch?v=Sc8t6BZUSJs

     

    Tu peux dire que, en partant pour le Sahel, tu cherches des hommes… là où tu n’en as pas trouvé autour de toi, à Abidjan, Paris, Béziers ou Montmirail… Autrement dit, tu cherches un nouveau type de relation, correspondant à une autre sorte de besoin, dans l’urgence, et la confiance pratique, vérifiable – que donnent les actes plutôt que les paroles.

       

    « Je cherche un homme ! » criait déjà Diogène, sa lanterne allumée en plein jour.

    Ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, ce sont les moyens dont nous disposons, à si faible coût, pour passer des ténèbres à la lumière, de la sous-alimentation à la suffisance alimentaire : de l’ordre de 500 euros pour un puits tout équipé. 100 euros pour donner la lumière à un foyer.

    Alors, cet « homme », s’il faut aller au Sahel pour le trouver, ce n’est pas si loin en avion. Et nous en ramènerons la force d’un rapport nouveau, avec soi-même, et les autres, là où nous sommes.

    « Un homme » cela n’existe pas. Ce qui existe, ce sont ces rapports concrets que nous créons entre les hommes, les êtres humains, chemin faisant, à partir d’actes indiscutables, gratuits, qui se passent de commentaires.

    « Le langage est source de malentendus » savait le renard du Petit Prince.

    Nous sommes déjà nombreux à supporter difficilement l’insondable petitesse, la mesquinerie, l’atroce misère humaine, mentale de nos environnements, dans ce qui ressemble de plus en plus à un désert relationnel vertigineux. De plus en plus nombreux à envisager l’exil même, pour en sortir, et oublier cette froideur, cette lourdeur insensées qui se répandent dans les pays que l’on dit riches comme dans les pays pauvres, où la fièvre du profit personnel (de la « carrière », du statut) a tout perverti.

    La solution risque d’être de se faire hirondelles. De nous répartir entre des chantiers sous les tropiques – pour le développement, l’alphabétisation – et ces latitudes nordiques où les gens vivent claquemurés, cadenassés dans leurs obsessions, entre ressassement et ressentiment, avec l’argent, l’argent toujours comme horizon et pauvre raison (d’être ?).

    A la question centrale de toute vie : « qu’as-tu fait de ton talent ? », il nous viendra alors un sourire mutin, enfantin : sans doute peu de choses au final, mais si j’ai contribué à creuser des puits dans le désert, et à faire jaillir de la lumière des ténèbres…

     

    La lassitude, en chemin, est parfois intense (« il est absurde de chercher un puits, au hasard, dans l’immensité du désert. ») Cependant, l’essentiel est de se mettre en chemin.

    « Ce qui embellit le désert, dit le petit prince, c’est qu’il cache un puits quelque part… » .  

     
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     Victor in 1998

     

    Victor in 2000

    Newsletter n°107

    October 1st, 2018

    (to be translated)

     

    La photo en noir et blanc est pour moi la plus tragique des images humaines.

    Vieux, un habitant parmi d’autres de ce petit village de cases en terre cuite du Sahel, avait pour tout mobilier une petite caisse en bois brut qui lui servait de siège, pour tout éclairage un bout de bougie au fond d’une demi-bouteille. Pour trouver de l’eau (non potable) il fallait se rendre au puits commun du village à 200 mètres. On est au seuil d’an 2000. A quelques kilomètres au Sud-Ouest, sur la Petite Côte, un vaste complexe balnéaire, Saly Portugal, loue ses chambres avec piscine aux touristes européens qui viennent y séjourner. Ils n’ont aucune idée de la misère à leurs portes. Autour d’eux le gazon est vert, et arrosé par des employés en tenue, qui touchent un euro et demi par jour de travail. Un euro et demi : à ce moment-là, le prix d’une canette de Schweppes Tonic pour les étrangers.

    Au Sénégal, puisque c’est dans ce pays qu’est situé Saly, avec ses 4.000 habitants, un tiers de la population rurale est sans eau courante, et plus de 70% sans électricité. Un peu plus de 60% de la population a moins de 25 ans. Leur taux de chômage était de 48% en 2007, et près de la moitié de la population vivait sous la ligne de pauvreté, dans ce pays islamisé à 96%.

    La ligne de pauvreté : définie par rapport à la plus petite quantité d’argent qui permet de survivre. Le revenu moyen par personne au Sénégal est inférieur à 200€ par mois. Pour comparaison, en France il est estimé à 3.140€ en 2017.

    Vieux n’était donc pas une exception, lorsque nous nous sommes rencontrés en 1997. Les Messageries de la Paix ont alors décidé d’ouvrir un chantier pour sa famille. Qu’il accède, lui et les siens, à des conditions de vie décentes, et même plaisantes. Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Le hasard d’une rencontre, au bord de l’océan. Le hasard-qui-fait-bien-les-choses.

      Nous avons acquis une superficie de terre – cette terre aride où rien ne pousse hormis les ronces rampantes (le kham-kham) et de rares baobabs de loin en loin. Cet hectare, ils l’ont nommé le Champ de l’Amitié et de la Fraternité. Nous y avons fait creuser un puits par un puisatier, doté d’une « pompe indonésienne » (mécanique) fabriquée sur place. L’eau du puits a permis d’irriguer le champ, et d’y mettre en place des cultures vivrières, de planter des arbres fruitiers.

     

    Pour transporter le produit de ces récoltes sur la côte, et le proposer dans les hôtels, une charrette neuve a été fabriquée, sur pneus, à Saly, et deux chevaux ont été achetés, dans un lointain marché au bétail. Dans le « carré » même de Vieux (un carré est l’espace occupé par une famille, composé de deux, trois cases) le puisatier a creusé un second puits, pour qu’ils aient l’eau chez eux. Après analyse à l’Institut Pasteur de Dakar, toutefois, on a constaté que cette eau n’était pas potable, pas plus dans le champ que pour la case – avec un taux de bactéries élevé, de coliformes et de streptocoques. Elle pouvait servir à la lessive, à un minimum d’hygiène (bouillie), à l’arrosage de ce qui mature loin du sol.

    Ce n’était pas le paradis, mais cela commençait à ressembler à un début de promesse tenue.
     

    Du Sahel au conflit israélo-palestinien

    Le temps a passé. Il n’y avait toujours ni électricité, ni bien sûr téléphone. En octobre 2000, des troubles ont éclaté à Jérusalem, sur l’Esplanade des Mosquées (le Mont du Temple). Un soulèvement violent a balayé toute la Palestine durant des années. Les attentats-suicides se multipliaient dans les villes d’Israël. Nous nous sommes détournés du Sahel, pour faire face à ce feu qui emportait la « Terre Sainte ».

    En 2003, les Américains ont envahi l’Irak, avec les conséquences que l’on sait, jusqu’à maintenant. Trois ans après, les choses se sont encore durcies entre Israéliens et Palestiniens, et les 2 millions d’habitants de la Bande de Gaza, entre le Sud-Ouest d’Israël et le Nord-Est du Sinaï en Egypte, se sont retrouvés enfermés, coïncés sur place par un double blocus israélo-égyptien. Dans la Bande de Gaza, ils vivent avec 3 à 4 heures d’électricité par jour, et 97% de l’eau aux robinets est non-potable. Par faute d’usine de traitement des eaux, tous les déchets humains et eaux sales sont rejetés dans la Mer. Les côtes sont devenues contaminées jusqu’en Israël, ainsi que la nappe phréatique. La pire pollution ne connaît pas de frontières !

    Les gens de Gaza vivent derrière des grillages, et de hauts murs, empêchés de s’éloigner de leur bande côtière par des vedettes, patrouilleurs armés de mitrailleuses. Depuis six mois, ils se portent par milliers contre les grillages qui les contiennent. Lorsqu’ils s’approchent trop près, ils sont abattus. On compte près de 200 tués et plus de 5.000 blessés. Comme il s’agit d’hémorragies régulières et non « massives » les media n’en rendent pas compte.

    En outre, le gouvernement palestinien participe activement au blocus des habitants de Gaza, dans l’espoir de faire tomber ses rivaux politiques qui ont pris le pouvoir dans la Bande de Gaza (« Hamas »). L’Union Européenne elle-même, qui finance une mission d’assistance frontalière avec l’Egypte d’une soixantaine d’inspecteurs, participe à ce blocus, puisqu’elle paie ces inspecteurs à ne rien faire depuis 2007, les ayant retirés de leur poste à la frontière de Rafah, où ils supervisaient le passage de 1.500 personnes par jour.

    Retour en Afrique

    Depuis l’an 2000, Messagers de Paix, nous sommes lourdement impliqués en Israël/Palestine, où nous avons diffusé les codes de la non-violence pratique (avec notamment l’impression de notre « petit livre rouge » des principes-clefs de Martin Luther King.

    En avril 2018, nous avons été impressionnés de voir les portraits de Gandhi, Martin Luther King, et Mandela, repris par les dirigeants de Gaza sur la place publique. La non-violence absolue, toutefois, est un langage complet, complexe, qui a ses codes, sa « grammaire ». Il ne s’improvise pas. A nous de le répandre, dans toute la mesure de nos moyens.

    Jusqu’à ce que cessent les violences suicidaires, les provocations.

    C’est le travail de toute une vie, comme de transformer une parcelle de désert en cultures vivrières. Gaza – Sahel : aux deux pôles, une extrême misère empêche les êtres humains de se développer normalement, de goûter la vie qui coule en leurs veines. Les remèdes existent pourtant. Simples, et non coûteux. Comme ces lampes solaires montées en France, transportées à Saly Joseph en 2001, pour prendre le relais des bougies d’antan.  

    Comme Gaza peut être comparée à un Quartier de Haute Sécurité (pour deux millions d’otages des circonstances), on peut dire du Sahel que c’est un camp de concentration à ciel ouvert. On y trouve de tout : dysenterie, scorpions, serpents mambas noirs, mambas verts dans les arbres, cobras cracheurs, raies électriques dans l’océan, enfants sous-alimentés, plus de 50% d’analphabétisme chez les femmes… Mais on y trouve aussi l’énergie du désespoir et de l’espoir maintenu envers et contre tout.

    Il fallait une force d’âme extraordinaire pour y survivre, et continuer à se reproduire. Les Africains l’ont, avec 4,5 enfants par femme au Sénégal (contre 2 en France ; 1,5 en Allemagne ; moins de 1,4 en Italie ; 1,3 en Espagne ; 1,2 au Portugal). Littéralement, ces pays riches meurent chaque jour de mort lente, peuplés d’un nombre croissant de vieillards isolés, relégués, là où l’Afrique déborde de vie, de vitalité.

    En France, et ailleurs en Europe, les supermarchés, les centres commerciaux sont bondés de marchandises, d’acheteurs. C’est la Corne d’abondance, c’est « Byzance », mais cette abondance n’est qu’une abondance de biens périssables, qui ne laissent aucune trace dans les consciences. Il suffit de se rendre dans une de ces structures un dimanche matin :

    Dans les plus petits de ces entrepôts (200 mètres carrés : 40 mètres sur 50 pour une bourgade de 2.000 habitants), tu trouves de tout, stocké sur des étagères sans fin : des ananas du Costa Rica, bananes de Colombie, mangues d’Israël, du gingembre de Chine, des avocats du Pérou, des kiwis de Nouvelle-Zélande, des pastèques d’Espagne, des pomelos d’Afrique du Sud, du chocolat suisse, du café du Brésil, et pourtant, regarde la tête des gens : ils ne sont pas heureux ! Tu les trouves repliés sur eux-mêmes, sombres, agités, anxieux, lourds.

    Le portrait-robot des Français, en 2018 : ils sont aigris, désagréables, indifférents, toujours en train de se plaindre, ne s’intéressent à rien d’autre que leurs revenus, revendications.

    Pas tous comme ça, mais l’écrasante majorité. Alors, avec quelques-uns de ceux qui n’ont pas glissé dans ce nihilisme ordinaire, nous avons décidé de retourner en Afrique, pour y reprendre les outils, et contribuer à la transformation du réel, sans prétextes ni alibis.

    Les gens de Saly ne sont pas différents de ceux de M’bour ou de Joal. Il s’y trouve la même proportion d’illettrés qu’ailleurs. Aussi notre projet est-il non seulement de développer des cultures vivrières, pour que les corps en profitent, mais de créer une petite bibliothèque, pour que les adultes comme les enfants, les adolescents, puissent s’y détendre, et ouvrir des pistes qui les conduisent à enrichir leur imaginaire, leur compréhension du monde en général.

    L’absence d’électricté peut avoir ses avantages : ni ordinateurs, ni télévisions pour nous accaparer, nous voler notre temps, et nous bourrer le crâne d’inepties, de désinformations.

    A Saly-Joseph, ensemble, Musulmans et Chrétiens, nous pouvons faire revivre une oasis d’espoir et de coexistence intelligente, aux portes du grand désert du Sahel.

    Et cet espoir, ce sont nos actes, solidaires, responsables, qui vont l’alimenter.

    Ce que nous faisons, nous le faisons par conviction, pour que la Vie ait tout son sens, et que les vrais sourires se multiplient sur nos chemins.

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  •  

     

    PEACE  LINES

    MESSAGERIES

    DE LA PAIX

    www.peacelines.org

    peacelines@gmail.com

     

     Vieux en 1998

     

    Vieux en 2000

    Lettre de Liaison n°107

    1er octobre 2018

     

    La photo en noir et blanc est pour moi la plus tragique des images humaines.

    Vieux, un habitant parmi d’autres de ce petit village de cases en terre cuite du Sahel, avait pour tout mobilier une petite caisse en bois brut qui lui servait de siège, pour tout éclairage un bout de bougie au fond d’une demi-bouteille. Pour trouver de l’eau (non potable) il fallait se rendre au puits commun du village à 200 mètres. On est au seuil d’an 2000. A quelques kilomètres au Sud-Ouest, sur la Petite Côte, un vaste complexe balnéaire, Saly Portugal, loue ses chambres avec piscine aux touristes européens qui viennent y séjourner. Ils n’ont aucune idée de la misère à leurs portes. Autour d’eux le gazon est vert, et arrosé par des employés en tenue, qui touchent un euro et demi par jour de travail. Un euro et demi : à ce moment-là, le prix d’une canette de Schweppes Tonic pour les étrangers.

    Au Sénégal, puisque c’est dans ce pays qu’est situé Saly, avec ses 4.000 habitants, un tiers de la population rurale est sans eau courante, et plus de 70% sans électricité. Un peu plus de 60% de la population a moins de 25 ans. Leur taux de chômage était de 48% en 2007, et près de la moitié de la population vivait sous la ligne de pauvreté, dans ce pays islamisé à 96%.

    La ligne de pauvreté : définie par rapport à la plus petite quantité d’argent qui permet de survivre. Le revenu moyen par personne au Sénégal est inférieur à 200€ par mois. Pour comparaison, en France il est estimé à 3.140€ en 2017.

    Vieux n’était donc pas une exception, lorsque nous nous sommes rencontrés en 1997. Les Messageries de la Paix ont alors décidé d’ouvrir un chantier pour sa famille. Qu’il accède, lui et les siens, à des conditions de vie décentes, et même plaisantes. Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Le hasard d’une rencontre, au bord de l’océan. Le hasard-qui-fait-bien-les-choses.

      Nous avons acquis une superficie de terre – cette terre aride où rien ne pousse hormis les ronces rampantes (le kham-kham) et de rares baobabs de loin en loin. Cet hectare, ils l’ont nommé le Champ de l’Amitié et de la Fraternité. Nous y avons fait creuser un puits par un puisatier, doté d’une « pompe indonésienne » (mécanique) fabriquée sur place. L’eau du puits a permis d’irriguer le champ, et d’y mettre en place des cultures vivrières, de planter des arbres fruitiers.

     

    Pour transporter le produit de ces récoltes sur la côte, et le proposer dans les hôtels, une charrette neuve a été fabriquée, sur pneus, à Saly, et deux chevaux ont été achetés, dans un lointain marché au bétail. Dans le « carré » même de Vieux (un carré est l’espace occupé par une famille, composé de deux, trois cases) le puisatier a creusé un second puits, pour qu’ils aient l’eau chez eux. Après analyse à l’Institut Pasteur de Dakar, toutefois, on a constaté que cette eau n’était pas potable, pas plus dans le champ que pour la case – avec un taux de bactéries élevé, de coliformes et de streptocoques. Elle pouvait servir à la lessive, à un minimum d’hygiène (bouillie), à l’arrosage de ce qui mature loin du sol.

    Ce n’était pas le paradis, mais cela commençait à ressembler à un début de promesse tenue.
     

    Du Sahel au conflit israélo-palestinien

    Le temps a passé. Il n’y avait toujours ni électricité, ni bien sûr téléphone. En octobre 2000, des troubles ont éclaté à Jérusalem, sur l’Esplanade des Mosquées (le Mont du Temple). Un soulèvement violent a balayé toute la Palestine durant des années. Les attentats-suicides se multipliaient dans les villes d’Israël. Nous nous sommes détournés du Sahel, pour faire face à ce feu qui emportait la « Terre Sainte ».

    En 2003, les Américains ont envahi l’Irak, avec les conséquences que l’on sait, jusqu’à maintenant. Trois ans après, les choses se sont encore durcies entre Israéliens et Palestiniens, et les 2 millions d’habitants de la Bande de Gaza, entre le Sud-Ouest d’Israël et le Nord-Est du Sinaï en Egypte, se sont retrouvés enfermés, coïncés sur place par un double blocus israélo-égyptien. Dans la Bande de Gaza, ils vivent avec 3 à 4 heures d’électricité par jour, et 97% de l’eau aux robinets est non-potable. Par faute d’usine de traitement des eaux, tous les déchets humains et eaux sales sont rejetés dans la Mer. Les côtes sont devenues contaminées jusqu’en Israël, ainsi que la nappe phréatique. La pire pollution ne connaît pas de frontières !

    Les gens de Gaza vivent derrière des grillages, et de hauts murs, empêchés de s’éloigner de leur bande côtière par des vedettes, patrouilleurs armés de mitrailleuses. Depuis six mois, ils se portent par milliers contre les grillages qui les contiennent. Lorsqu’ils s’approchent trop près, ils sont abattus. On compte près de 200 tués et plus de 5.000 blessés. Comme il s’agit d’hémorragies régulières et non « massives » les media n’en rendent pas compte.

    En outre, le gouvernement palestinien participe activement au blocus des habitants de Gaza, dans l’espoir de faire tomber ses rivaux politiques qui ont pris le pouvoir dans la Bande de Gaza (« Hamas »). L’Union Européenne elle-même, qui finance une mission d’assistance frontalière avec l’Egypte d’une soixantaine d’inspecteurs, participe à ce blocus, puisqu’elle paie ces inspecteurs à ne rien faire depuis 2007, les ayant retirés de leur poste à la frontière de Rafah, où ils supervisaient le passage de 1.500 personnes par jour.

    Retour en Afrique

    Depuis l’an 2000, Messagers de Paix, nous sommes lourdement impliqués en Israël/Palestine, où nous avons diffusé les codes de la non-violence pratique (avec notamment l’impression de notre « petit livre rouge » des principes-clefs de Martin Luther King.

    En avril 2018, nous avons été impressionnés de voir les portraits de Gandhi, Martin Luther King, et Mandela, repris par les dirigeants de Gaza sur la place publique. La non-violence absolue, toutefois, est un langage complet, complexe, qui a ses codes, sa « grammaire ». Il ne s’improvise pas. A nous de le répandre, dans toute la mesure de nos moyens.

    Jusqu’à ce que cessent les violences suicidaires, les provocations.

    C’est le travail de toute une vie, comme de transformer une parcelle de désert en cultures vivrières. Gaza – Sahel : aux deux pôles, une extrême misère empêche les êtres humains de se développer normalement, de goûter la vie qui coule en leurs veines. Les remèdes existent pourtant. Simples, et non coûteux. Comme ces lampes solaires montées en France, transportées à Saly Joseph en 2001, pour prendre le relais des bougies d’antan.  

    Comme Gaza peut être comparée à un Quartier de Haute Sécurité (pour deux millions d’otages des circonstances), on peut dire du Sahel que c’est un camp de concentration à ciel ouvert. On y trouve de tout : dysenterie, scorpions, serpents mambas noirs, mambas verts dans les arbres, cobras cracheurs, raies électriques dans l’océan, enfants sous-alimentés, plus de 50% d’analphabétisme chez les femmes… Mais on y trouve aussi l’énergie du désespoir et de l’espoir maintenu envers et contre tout.

    Il fallait une force d’âme extraordinaire pour y survivre, et continuer à se reproduire. Les Africains l’ont, avec 4,5 enfants par femme au Sénégal (contre 2 en France ; 1,5 en Allemagne ; moins de 1,4 en Italie ; 1,3 en Espagne ; 1,2 au Portugal). Littéralement, ces pays riches meurent chaque jour de mort lente, peuplés d’un nombre croissant de vieillards isolés, relégués, là où l’Afrique déborde de vie, de vitalité.

    En France, et ailleurs en Europe, les supermarchés, les centres commerciaux sont bondés de marchandises, d’acheteurs. C’est la Corne d’abondance, c’est « Byzance », mais cette abondance n’est qu’une abondance de biens périssables, qui ne laissent aucune trace dans les consciences. Il suffit de se rendre dans une de ces structures un dimanche matin :

    Dans les plus petits de ces entrepôts (200 mètres carrés : 40 mètres sur 50 pour une bourgade de 2.000 habitants), tu trouves de tout, stocké sur des étagères sans fin : des ananas du Costa Rica, bananes de Colombie, mangues d’Israël, du gingembre de Chine, des avocats du Pérou, des kiwis de Nouvelle-Zélande, des pastèques d’Espagne, des pomelos d’Afrique du Sud, du chocolat suisse, du café du Brésil, et pourtant, regarde la tête des gens : ils ne sont pas heureux ! Tu les trouves repliés sur eux-mêmes, sombres, agités, anxieux, lourds.

    Le portrait-robot des Français, en 2018 : ils sont aigris, désagréables, indifférents, toujours en train de se plaindre, ne s’intéressent à rien d’autre que leurs revenus, revendications.

    Pas tous comme ça, mais l’écrasante majorité. Alors, avec quelques-uns de ceux qui n’ont pas glissé dans ce nihilisme ordinaire, nous avons décidé de retourner en Afrique, pour y reprendre les outils, et contribuer à la transformation du réel, sans prétextes ni alibis.

    Les gens de Saly ne sont pas différents de ceux de M’bour ou de Joal. Il s’y trouve la même proportion d’illettrés qu’ailleurs. Aussi notre projet est-il non seulement de développer des cultures vivrières, pour que les corps en profitent, mais de créer une petite bibliothèque, pour que les adultes comme les enfants, les adolescents, puissent s’y détendre, et ouvrir des pistes qui les conduisent à enrichir leur imaginaire, leur compréhension du monde en général.

    L’absence d’électricté peut avoir ses avantages : ni ordinateurs, ni télévisions pour nous accaparer, nous voler notre temps, et nous bourrer le crâne d’inepties, de désinformations.

    A Saly-Joseph, ensemble, Musulmans et Chrétiens, nous pouvons faire revivre une oasis d’espoir et de coexistence intelligente, aux portes du grand désert du Sahel.

    Et cet espoir, ce sont nos actes, solidaires, responsables, qui vont l’alimenter.

    Ce que nous faisons, nous le faisons par conviction, pour que la Vie ait tout son sens, et que les vrais sourires se multiplient sur nos chemins.

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    Vieux en 2000

     

     

     

    Lettre de Liaison n°107

    1er octobre 2018

    La photo en noir et blanc est pour moi la plus tragique des images humaines.

    Vieux, un habitant parmi d’autres de ce petit village de cases en terre cuite du Sahel, avait pour tout mobilier une petite caisse en bois brut qui lui servait de siège, pour tout éclairage un bout de bougie au fond d’une demi-bouteille. Pour trouver de l’eau (non potable) il fallait se rendre au puits commun du village à 200 mètres. On est au seuil d’an 2000. A quelques kilomètres au Sud-Ouest, sur la Petite Côte, un vaste complexe balnéaire, Saly Portugal, loue ses chambres avec piscine aux touristes européens qui viennent y séjourner. Ils n’ont aucune idée de la misère à leurs portes. Autour d’eux le gazon est vert, et arrosé par des employés en tenue, qui touchent un euro et demi par jour de travail. Un euro et demi : à ce moment-là, le prix d’une canette de Schweppes Tonic pour les étrangers.

    Au Sénégal, puisque c’est dans ce pays qu’est situé Saly, avec ses 4.000 habitants, un tiers de la population rurale est sans eau courante, et plus de 70% sans électricité. Un peu plus de 60% de la population a moins de 25 ans. Leur taux de chômage était de 48% en 2007, et près de la moitié de la population vivait sous la ligne de pauvreté, dans ce pays islamisé à 96%.

    La ligne de pauvreté : définie par rapport à la plus petite quantité d’argent qui permet de survivre. Le revenu moyen par personne au Sénégal est inférieur à 200€ par mois. Pour comparaison, en France il est estimé à 3.140€ en 2017.

    Vieux n’était donc pas une exception, lorsque nous nous sommes rencontrés en 1997. Les Messageries de la Paix ont alors décidé d’ouvrir un chantier pour sa famille. Qu’il accède, lui et les siens, à des conditions de vie décentes, et même plaisantes. Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Le hasard d’une rencontre, au bord de l’océan. Le hasard-qui-fait-bien-les-choses.

      Nous avons acquis une superficie de terre – cette terre aride où rien ne pousse hormis les ronces rampantes (le kham-kham) et de rares baobabs de loin en loin. Cet hectare, ils l’ont nommé le Champ de l’Amitié et de la Fraternité. Nous y avons fait creuser un puits par un puisatier, doté d’une « pompe indonésienne » (mécanique) fabriquée sur place. L’eau du puits a permis d’irriguer le champ, et d’y mettre en place des cultures vivrières, de planter des arbres fruitiers.

     

    Pour transporter le produit de ces récoltes sur la côte, et le proposer dans les hôtels, une charrette neuve a été fabriquée, sur pneus, à Saly, et deux chevaux ont été achetés, dans un lointain marché au bétail. Dans le « carré » même de Vieux (un carré est l’espace occupé par une famille, composé de deux, trois cases) le puisatier a creusé un second puits, pour qu’ils aient l’eau chez eux. Après analyse à l’Institut Pasteur de Dakar, toutefois, on a constaté que cette eau n’était pas potable, pas plus dans le champ que pour la case – avec un taux de bactéries élevé, de coliformes et de streptocoques. Elle pouvait servir à la lessive, à un minimum d’hygiène (bouillie), à l’arrosage de ce qui mature loin du sol.

    Ce n’était pas le paradis, mais cela commençait à ressembler à un début de promesse tenue.
     

    Du Sahel au conflit israélo-palestinien

    Le temps a passé. Il n’y avait toujours ni électricité, ni bien sûr téléphone. En octobre 2000, des troubles ont éclaté à Jérusalem, sur l’Esplanade des Mosquées (le Mont du Temple). Un soulèvement violent a balayé toute la Palestine durant des années. Les attentats-suicides se multipliaient dans les villes d’Israël. Nous nous sommes détournés du Sahel, pour faire face à ce feu qui emportait la « Terre Sainte ».

    En 2003, les Américains ont envahi l’Irak, avec les conséquences que l’on sait, jusqu’à maintenant. Trois ans après, les choses se sont encore durcies entre Israéliens et Palestiniens, et les 2 millions d’habitants de la Bande de Gaza, entre le Sud-Ouest d’Israël et le Nord-Est du Sinaï en Egypte, se sont retrouvés enfermés, coïncés sur place par un double blocus israélo-égyptien. Dans la Bande de Gaza, ils vivent avec 3 à 4 heures d’électricité par jour, et 97% de l’eau aux robinets est non-potable. Par faute d’usine de traitement des eaux, tous les déchets humains et eaux sales sont rejetés dans la Mer. Les côtes sont devenues contaminées jusqu’en Israël, ainsi que la nappe phréatique. La pire pollution ne connaît pas de frontières !

    Les gens de Gaza vivent derrière des grillages, et de hauts murs, empêchés de s’éloigner de leur bande côtière par des vedettes, patrouilleurs armés de mitrailleuses. Depuis six mois, ils se portent par milliers contre les grillages qui les contiennent. Lorsqu’ils s’approchent trop près, ils sont abattus. On compte près de 200 tués et plus de 5.000 blessés. Comme il s’agit d’hémorragies régulières et non « massives » les media n’en rendent pas compte.

    En outre, le gouvernement palestinien participe activement au blocus des habitants de Gaza, dans l’espoir de faire tomber ses rivaux politiques qui ont pris le pouvoir dans la Bande de Gaza (« Hamas »). L’Union Européenne elle-même, qui finance une mission d’assistance frontalière avec l’Egypte d’une soixantaine d’inspecteurs, participe à ce blocus, puisqu’elle paie ces inspecteurs à ne rien faire depuis 2007, les ayant retirés de leur poste à la frontière de Rafah, où ils supervisaient le passage de 1.500 personnes par jour.

    Retour en Afrique

    Depuis l’an 2000, Messagers de Paix, nous sommes lourdement impliqués en Israël/Palestine, où nous avons diffusé les codes de la non-violence pratique (avec notamment l’impression de notre « petit livre rouge » des principes-clefs de Martin Luther King.

    En avril 2018, nous avons été impressionnés de voir les portraits de Gandhi, Martin Luther King, et Mandela, repris par les dirigeants de Gaza sur la place publique. La non-violence absolue, toutefois, est un langage complet, complexe, qui a ses codes, sa « grammaire ». Il ne s’improvise pas. A nous de le répandre, dans toute la mesure de nos moyens.

    Jusqu’à ce que cessent les violences suicidaires, les provocations.

    C’est le travail de toute une vie, comme de transformer une parcelle de désert en cultures vivrières. Gaza – Sahel : aux deux pôles, une extrême misère empêche les êtres humains de se développer normalement, de goûter la vie qui coule en leurs veines. Les remèdes existent pourtant. Simples, et non coûteux. Comme ces lampes solaires montées en France, transportées à Saly Joseph en 2001, pour prendre le relais des bougies d’antan.  

    Comme Gaza peut être comparée à un Quartier de Haute Sécurité (pour deux millions d’otages des circonstances), on peut dire du Sahel que c’est un camp de concentration à ciel ouvert. On y trouve de tout : dysenterie, scorpions, serpents mambas noirs, mambas verts dans les arbres, cobras cracheurs, raies électriques dans l’océan, enfants sous-alimentés, plus de 50% d’analphabétisme chez les femmes… Mais on y trouve aussi l’énergie du désespoir et de l’espoir maintenu envers et contre tout.

    Il fallait une force d’âme extraordinaire pour y survivre, et continuer à se reproduire. Les Africains l’ont, avec 4,5 enfants par femme au Sénégal (contre 2 en France ; 1,5 en Allemagne ; moins de 1,4 en Italie ; 1,3 en Espagne ; 1,2 au Portugal). Littéralement, ces pays riches meurent chaque jour de mort lente, peuplés d’un nombre croissant de vieillards isolés, relégués, là où l’Afrique déborde de vie, de vitalité.

    En France, et ailleurs en Europe, les supermarchés, les centres commerciaux sont bondés de marchandises, d’acheteurs. C’est la Corne d’abondance, c’est « Byzance », mais cette abondance n’est qu’une abondance de biens périssables, qui ne laissent aucune trace dans les consciences. Il suffit de se rendre dans une de ces structures un dimanche matin :

    Dans les plus petits de ces entrepôts (200 mètres carrés : 40 mètres sur 50 pour une bourgade de 2.000 habitants), tu trouves de tout, stocké sur des étagères sans fin : des ananas du Costa Rica, bananes de Colombie, mangues d’Israël, du gingembre de Chine, des avocats du Pérou, des kiwis de Nouvelle-Zélande, des pastèques d’Espagne, des pomelos d’Afrique du Sud, du chocolat suisse, du café du Brésil, et pourtant, regarde la tête des gens : ils ne sont pas heureux ! Tu les trouves repliés sur eux-mêmes, sombres, agités, anxieux, lourds.

    Le portrait-robot des Français, en 2018 : ils sont aigris, désagréables, indifférents, toujours en train de se plaindre, ne s’intéressent à rien d’autre que leurs revenus, revendications.

    Pas tous comme ça, mais l’écrasante majorité. Alors, avec quelques-uns de ceux qui n’ont pas glissé dans ce nihilisme ordinaire, nous avons décidé de retourner en Afrique, pour y reprendre les outils, et contribuer à la transformation du réel, sans prétextes ni alibis.

    Les gens de Saly ne sont pas différents de ceux de M’bour ou de Joal. Il s’y trouve la même proportion d’illettrés qu’ailleurs. Aussi notre projet est-il non seulement de développer des cultures vivrières, pour que les corps en profitent, mais de créer une petite bibliothèque, pour que les adultes comme les enfants, les adolescents, puissent s’y détendre, et ouvrir des pistes qui les conduisent à enrichir leur imaginaire, leur compréhension du monde en général.

    L’absence d’électricté peut avoir ses avantages : ni ordinateurs, ni télévisions pour nous accaparer, nous voler notre temps, et nous bourrer le crâne d’inepties, de désinformations.

    A Saly-Joseph, ensemble, Musulmans et Chrétiens, nous pouvons faire revivre une oasis d’espoir et de coexistence intelligente, aux portes du grand désert du Sahel.

    Et cet espoir, ce sont nos actes, solidaires, responsables, qui vont l’alimenter.

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