• Lettre n°101 - juin 2017

     Lettre n°101 - juin 2017

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     Lettre n°101 - juin 2017

    Lettre de Liaison n°101

    10 juin 2017

     

    HUMANITAIRE

    (1500 mots pour y voir clair)

    Tu m’as fait part de ton intérêt pour le domaine humanitaire, et j’ai senti là une vraie question.

    Et tu m’as demandé s’il fallait un diplôme pour y entrer. Cette double demande est restée avec moi toute la journée, dans ma pensée, et dans mes actes. Ce matin, je vais te dire ce qui m’est venu, dans l’ordre. D’abord, « humanitaire », ça veut dire quoi ?

    • Humanitaire : Umani / Terre. Umani : Humains, en corse, comme le nom de la belle association-sœur du groupe des frères Bernardini, I Muvrini. Terre, par opposition à nation, frontières.

    Les humanitaires sont sans frontières, qu’elles soient nationales, régionales, locales, ou même entre voisins, au sein d’une même famille. Sans frontières, ce n’est pas sans limites.

    Les humanitaires se regroupent en o.n.g. : organisations non gouvernementales. C’est très important, cela signifie qu’ils ne prennent pas leurs ordres, leurs objectifs auprès d’un gouvernement national (selon sa politique étrangère ou intérieure). Aucun représentant de l’Etat ne siège dans leur conseil d’administration, comme dans la plupart des grosses organisations qui ont pignon sur rue.

    L’humanitaire prend ses « ordres de route » seul, en conscience, et avec ses compagnons, ses compagnes qui partagent les mêmes refus, les mêmes besoins.

    Est-ce qu’il faut vraiment rappeler ce que le mot humain veut dire ?

    Humain : d’abord, l’Homme, homme ou femme, l’être unique et irremplaçable, dans sa souffrance, sa détresse. Lui répondre. Ne pas lui tourner le dos. Ne pas lui faire défaut. Y aller.

    Nous avons conscience de ne pouvoir, physiquement, mentalement, répondre à tous les appels au secours de la planète. Une vie n’y suffirait pas. Aussi, nous commençons au plus près, et définissons nos priorités. Sans tourner autour, sans nous défiler.

    Il n’y a pas de hiérarchie nationale, ou médiatique, des douleurs. Ce qui se passe à nos portes (amis, voisins, famille…) nous concerne autant que ce qui se passe au loin. Je ne peux pas faire « ce qu’il faut » à l’étranger, et me conduire en scaphandrier de l’ego chez moi – et vice-versa.

    • Un niveau théorique pour ça ? Il est des « formations », qui délivrent des « diplômes » pour entrer dans les grosses organisations aux budgets colossaux. On en comprend l’idée, mais l’essentiel ne s’apprend pas dans des manuels, ou en « formation ». L’essentiel vient de l’intérieur de soi : rester ouvert à l’Autre, aux Autres en général, cette zone de notre sensibilité qui seule nous distingue des brutes auto-satisfaites, des égomaniaques anxieux qui se mettent toujours en avant, avec « leur fille », « leur famille », et de hauts murs autour, hérissés de tessons mentaux. Vivre dans un bunker, qu’il ait 50 ou 150 mètres carrés : où est l’humanité ? le partage ?

    Ici, nos magasins, super-marchés regorgent de vivres de toutes sortes, la surabondance sature des kilomètres d’étagères de produits en paquets, en conserves, les présentoirs débordent de légumes et fruits frais, venus du Chili, du Costa Rica, de Nouvelle-Zélande, du Maroc… mais regarde les visages des clients : comme ils sont sombres, fermés, opaques… sinistres, ou pathétiques…

    Alors, il est urgent de changer de territoire un peu, aller voir ailleurs comment les hommes vivent. Retrouver là-bas un peu de cette humanité, cette solidarité en actes, qui ont disparu ici. Ce ne sont pas les destinations qui manquent. Se remettre à l’écoute.

    Sortir du bunker. Sortir de la boîte (des habitudes, des préventions, des phobies, des petites manies…). Redevenir humain, avec les autres. Donner la main. Epauler. Etre présent. Surtout être présent. Redécouvrir ce que nous avons en commun, ce que nous pouvons, ensemble.

    Lettre n°101 - juin 2017

     

    Cela peut passer par une chambre d’hôpital, où l’ami(e) est cloué(e) par l’accident, la maladie. Par des actes d’entraide élémentaire avec des personnes âgées, affaiblies, isolées. Par le travail dans une zone de conflit, de violence – que ce soit dans l’un de ces « territoires perdus de la République » en France, ou dans une banlieue de Jérusalem, Naplouse (où les « banlieues » se nomment « camps de réfugiés »), ou encore dans un de ces kibboutz de la ceinture de Gaza, à défaut de Gaza même. Cela pourrait même passer par le Sahel, où des puits sont à creuser, des cultures vivrières à lancer…

    • Quelles compétences sont nécessaires ?
    Lettre n°101 - juin 2017 Avant tout la disponibilité – et la fiabilité. Vélléitaire rime à l’oreille avec humanitaire, mais il n’y a rien de plus étranger à l’esprit qui nous anime. Ce qui rime vraiment, c’est volontaire : armé d’une volonté ferme. Les humanitaires ne sont pas des pères noël d’occasion, qui font leur petit tour, leur petite B.A. (Bonne Action), et disparaissent. Ils reviennent autant que nécessaire. On comprend que l’on peut compter sur eux.

     

    Notre matière première, c’est la confiance. En soi, et réciproque. Pour qu’elle soit possible, là où les autres en ont tant besoin, il ne faut pas décevoir. Que l’engagement soit clair, et enraciné dans une constance de l’être, une authenticité que les rafales de la vie ne vont pas démentir.

    Quelles compétences pratiques toutefois ?

    Pouvoir s’exprimer en langue universelle (l’anglais) au Moyen-Orient est indispensable. Au Sahel ou en Afrique du Nord, le français reste dominant et suffit. Apprendre l’anglais peut faire partie des objectifs de base de quiconque a les yeux ouverts sur le monde.

    Ne pas craindre l’effort physique, manuel. Savoir manier les outils essentiels aide.

    Avoir un peu l’esprit d’organisation, pour définir et suivre les priorités.

    Partir toujours d’un a priori favorable vis-à-vis d’autrui : la fameuse (et oubliée) présomption d’innocence. L’Autre est mon semblable, fréquentable jusqu’à preuves établies (et répétées) du contraire. C’est là le regard pratique sur autrui, qui décide de tout en chemin.

    Etre de bonne volonté, toujours, et fort là-dessus. Rien de concret sans bonne volonté.

    Lettre n°101 - juin 2017 Etre sans a-priori aucun, politique ou idéologique. Surtout en zones de feu. L’expérience nous apprend qu’il n’y a pas de vérité exclusive, en blanc et noir. Les individus, partout, sont prisonniers de conflits qui les dépassent, et qui ont commencé sans eux. Nous ne prenons jamais parti. L’humanité des protagonistes seule importe. Dans les hôpitaux de guerre, l’enfant amputé, l’homme au visage criblé, brûlé, ne sont plus ni « serbe » ni « bosniaque » ni « musulman » ni « juif ». Notre regard est celui de l’infirmier, du chirurgien. Sans quoi, aucun rapport pratique n’est possible.

     

    Ne pas oublier que « tout existe en termes de relation, d’interdépendance. On ne peut rien trouver qui existe en soi et par soi. Il est donc impossible de concevoir son propre intérêt indépendamment de celui d’autrui. » (le Dalaï Lama)

    Il serait bon d’avoir quelques éléments de réflexion antérieurs, fondés sur des textes à valeur universelle. Au hasard, le Dalaï Lama (Appel au monde : l’éthique est plus importante que la religion), Desmond Tutu (Le livre du pardon), Martin Luther King (Révolution non-violente), Leymah Gbowee (Notre force est infinie), l’abbé Pierre (Une pensée par jour), Gandhi (Tous les hommes sont frères), Jean Giono (Ecrits pacifistes, L’homme qui plantait des arbres), Wangari Maathaï (Celle qui plante les arbres), Wim Wenders (Le sel de la terre), Playing for Change (Peace through Music)… Lettre n°101 - juin 2017

     

    [Parmi nos chantiers : la construction continue d’une grande bibliothèque de paix, pour lutter contre l’ignorance, l’illettrisme : http://www.peacelines.org/livres-recommandes-c24919578 ; et une bibliothèque virtuelle de l’Espoir : http://www.peacelines.org/d-autres-voix-se-levent-c27103086 ]

    Lettre n°101 - juin 2017

    Se sentir autonome et concerné, un peu créatif A partir de quoi, chercher avec les autres, en organisation, par quoi commencer, et selon quel calendrier. Sans désemparer. On va au bout de ce que l’on commence.

     

    Les objectifs ne manquent pas. Notre double chantier principal : la coexistence constructive entre Juifs, Musulmans, Chrétiens, et athées, à la charnière des 3 continents (Israël/Palestine). Depuis 2005, la coexistence confiante entre les mêmes, ici en France, où plus de 2.000 personnes meurent chaque année dans la rue, où 1 moins de 25 ans sur 5 dispose d’un Reste Pour Vivre de 85 € par mois (déduction faite des charges et dépenses incompressibles).

    Notre travail est de savoir, oser savoir, partager l’information, et agir, dans toute la mesure de nos capacités, là où d’autres ne le font pas déjà.

     

    Définir clairement ce que nous pouvons, et combien d’heures par semaine ou par mois, combien de jours par an, dans quelles limites, est le premier pas. De cet acte de foi en l’Homme, en l’Autre, notre efficacité et notre joie dépendent.

     

    Et pour qui est pris dans une spirale de la vie qui ne laisse aucune latitude d’action, comme cela arrive encore souvent, partager nos Lettres de Liaison avec d’autres qui ont l’esprit ouvert, et soutenir ceux qui agissent d’un simple geste annuel, c’est aussi une manière de participer, de ne pas fermer la porte, d’être solidaire.

      

    Merci de m’avoir posé ces questions. Notre combat de la non-violence absolue, de la bienveillance, pour nous réhumaniser, est une lutte de tous les instants. Nous ne tenons que par le regard d’autrui, lorsque renaissent fraternité, compassion, courage, et sincérité.

    Lettre n°101 - juin 2017

     

     

    Tu peux trouver sur notre site www.peacelines.org des éléments complémentaires…

     

    [Cette 101ème Lettre de Liaison est venue d’une rencontre, en bord de Marne, qui n’avait aucun rapport avec l’humanitaire au départ. Mais l’humanité en nous nous retrouve le moment venu… A vous de voir avec qui oser la partager!]