• Lettre n°73 - mars 2013

     Lettre n°73 - mars 2013

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    Lettre de liaison n°73

    5 mars 2013

     Lettre n°73 - mars 2013

    Stéphane Hessel

    (Berlin, 20 octobre 1917 –

    Paris, 26 février 2013)

    « La clef de la paix, c’est Jérusalem. Ré-établir Jérusalem comme capitale de la paix dans le monde. »  - Menachem Froman

    Menachem Froman (Galilée, 1er juin 1945 –Tekoa, 4 mars 2013) & Ibrahim Abou El Hawa à Jérusalem, l’été des tentes, 2011.

    EDITO

    Coup sur coup, en une semaine, nous avons perdu deux amis, de ceux qui ont balisé le chemin pour nous, et qui nous ont toujours donné le goût d’espérer, d’entreprendre là où personne ne l’ose, d’aller où personne ne va.

    Stéphane Hessel, témoin en 1948 de la Déclaration des Droits de l’Homme, passé l’âge de 90 ans, se rendait à Gaza (« cette langue de terre de 365 km², abandonnée des dieux, emprisonnée, meurtrie, pleine de misère, de frustration, de douleur ») une à deux fois par an, avec Christiane Hessel Chabry, sa femme. Pour lui, le siège de Gaza était ce qu’il y a de plus intolérable dans notre environnement actuel : « Aujourd’hui, ma principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie. Ce conflit est la source même d’une indignation. (…) Gaza, c’est une prison à ciel ouvert pour un million et demi de Palestiniens. Une prison où ils s’organisent pour survivre. »

    Menachem Froman, parachutiste militaire à 22 ans, avait participé à la prise du Mur des Lamentations en 1967, pour devenir rabbin par suite, dans la petite colonie Tekoa (en Cisjordanie) de 3.000 personnes, à 5 kilomètres au sud-est de Bethléhem, dans le désert, au pied du mont Hérodion. Son choix était de rester dans cette colonie, même si elle devait passer un jour sous juridiction palestinienne. En 2011, il avait soutenu publiquement la demande de reconnaissance de l’état palestinien. Il était connu depuis les années 90 pour avoir rencontré à plusieurs reprises le Sheikh Yassin, fondateur spirituel du Hamas, durant ses 8 ans de détention en Israël. Il voulait avant tout le dialogue avec l’Autre.

    Depuis deux ans, Menachem luttait contre le cancer. Je l’ai rencontré la dernière fois à Jérusalem, l’été 2011, alors que j’étais de retour de Gaza après un long séjour. Il était très affaibli, et ne se déplaçait plus qu’en fauteuil roulant. Il était venu dans un des parcs de la ville, transformé en cité de tentes par le mouvement de protestation qui avait commencé par le geste exemplaire d’une jeune femme de Tel Aviv, Dafnée Leef. Menacée par un avis d’expulsion de son appartement, incapable de se reloger compte-tenu des augmentations brutales de loyer en trois ans, Dafnée Leef avait planté sa tente dans un square, et ouvert une page Facebook, bientôt suivie par des milliers d’autres Israéliens, confrontés à la même crise du logement.

    Menachem, ce 15 août 2011, était venu de Tekoa, difficilement, compte-tenu de son état de santé, rejoint par Ibrahim Abou El Hawa, descendu du Mont des Oliviers pour la circonstance. Ils soutenaient les protestataires, rappelaient à tous que Juifs et Arabes pouvaient co-exister, s’apprécier, s’aimer... Ces deux-là étaient de vrais jumeaux de la provocation permanente à la non-violence, à l’humour, au partage avec l’Autre. Imaginez John Lennon et Yoko Ono en tenues de rabbin orthodoxe, de hadj palestinien… la gloire du show-biz en moins. Non déguisés, portant des habits taillés pour eux sur mesures, puisque ceux de leurs traditions respectives : Judaïsme multi-millénaire pour l’un, Islam séculaire pour l’autre. Si tous les religieux (et les sans-dieux) du monde ressemblaient à ces deux-là, comment le conflit judéo-arabe pourrait-il se prolonger d’une semaine ?

    Leur présence physique nous est ôtée. Ce qui demeure, indéfiniment, c’est leur esprit, tel qu’il s’exprime dans les nombreux articles, livres, que leur expérience a suscités. Notre responsabilité, à nous qui leur survivons, c’est de porter cette flamme plus loin, et de transmettre, témoigner, aussi courageusement qu’ils l’ont fait, quels que soient notre âge, notre milieu, notre ghetto d’origine, nos imperfections, nos limitations convenues.

    En prendre de la graine, pour semer, largement… Que nous manque-t-il donc pour marcher dans leurs pas, sortir du cagibi, de la cage invisible, des vieilles manières de résignation, lamentations, des refrains d’impuissance rabâchée ?

     

    STEPHANE HESSEL, A NOUS DE JOUER ! (2013 -      )

    A partir de 1945, Stéphane Hessel a été plus de 40 ans diplomate, ambassadeur, médiateur, enquêteur (avec, notamment, son rapport de 180 pages, en 1990, sur « les relations de la France avec les pays en développement », peu apprécié à l’Elysée, dit-on, et qui marqua son retrait de la vie publique, à l’âge de 73 ans). Il avait 85 ans lors de son premier voyage à Gaza, et en Cisjordanie. 93 ans, lorsqu’il a rédigé Indignez-vous ! où il se réclame de la Résistance, de Jean Moulin, et du général de Gaulle (qu’il a rejoint à Londres début 1941).

    Indignez-vous ! c’est un livret de moins d’une quinzaine de pages, imprimées d’abord à 8.000 exemplaires par une maison d’édition inconnue d’une petite ville du sud, qui atteint le million d’exemplaires en trois mois, et 4 millions en un an, traduit en une trentaine de langues. Personne, fin 2010, ne connaissait le nom de Hessel.

    Cette quinzaine de pages apportait une telle clarté, dans sa simplicité de style et d’exposition, que j’ai aussitôt expédié le livret à une trentaine d’amis, sur mes fonds propres, tant je trouvais cette rencontre nécessaire, providentielle.

    « Le motif de la résistance, c’est l’indignation ».  « Deux visions de l’histoire » (la volonté d’engagement, ou la fuite, sur « un cheminement de catastrophe en catastrophe »). « L’indifférence : la pire des attitudes ». « La non-violence, le chemin que nous devons apprendre à suivre ». « Pour une insurrection pacifique ». Avec, au cœur de ce développement qui coïncide avec notre philosophie de Messagers de Paix, le chapitre central, « Mon indignation à propos de la Palestine », consacré à Gaza, et à la possibilité de rapports avec ses dirigeants : si nous avions rêvé l’existence d’un théoricien de notre engagement en Palestine et en Israël, il se serait appelé Stéphane Hessel…

    Le mystère de cet homme, c’est qu’il ne se contentait pas d’analyser, de réfléchir, d’écrire. Il fallait qu’il y aille, qu’il y retourne, voir de ses yeux, constater par lui-même, pour pouvoir comprendre, et témoigner. Il lui aurait été si facile de rester entre ses murs, entre Paris et la Normandie, et profiter d’une retraite plus qu’amplement méritée (on ne peut pas oublier qu’il a été arrêté et torturé en 1944, en tant qu’agent de liaison de la Résistance, pour être déporté à Buchenwald, puis Dora et Bergen-Belsen, avant de pouvoir s’évader).

    Pourtant, il aura fallu attendre 2011 pour que l’on sache qu’il existait… 2011-2012 : deux années où il a brûlé la chandelle par les deux bouts, donnant, sans compter, de son temps, de ses ultimes ressources d’énergie, surexposé de tous côtés, souvent aussi attaqué, incompris, rejeté.

    Question : est-ce à un homme de 93 ans de porter le flambeau, et de s’épuiser pour les autres, de vingt à soixante-dix ans ses cadets ? Quel crédit ce monde accorde-t-il encore vraiment à de tels aînés ?

    En quoi a-t-il été réellement entendu par les gouvernants qui se sont succédés de 2011 à 2012 ? Qui d’autre, après lui et Christiane Hessel Chabry, s’est rendu à Gaza ? Quels ministres des Affaires Etrangères de l’un, puis de l’autre gouvernement ? Quels secrétaires d’Etat, quels diplomates ? Quelles femmes, quels hommes publics ?

    Ces questions, nous les posons prioritairement à celles et ceux qui président aux destinées de la République Française, ainsi qu’à celles et ceux qui représentent les peuples des 27 nations européennes, tant au niveau du Parlement Européen que de l’Union Européenne.

    Vouloir envoyer des armes en Syrie (fabriquées, vendues par qui ? à qui ? pour quoi ?), et prétendre gendarmer les étendues infinies du Sahel (du Mali au Niger, puis au Nigeria), tout en restant sourd et indifférent au sort des habitants de Gaza – et de Sderot, Ashkelon… --, est tellement incompréhensible, et incohérent, que le minimum de confiance du citoyen en ses représentants part en fumée, pour ne plus revenir. A qui accorder sa confiance, pour qui voter, lorsque les décideurs, aveuglément, substituent à toute vision stratégique globale des tactiques à très court terme, incapables de concevoir toutes les conséquences de leurs décisions ?

    C’est là que surgissent des hommes comme Stéphane Hessel. Leur profonde popularité s’explique précisément par leur cohérence, leur fiabilité, leur droiture.

    Quel président, quels ministres, quels députés peuvent atteindre ce degré-là de la confiance, de la réceptivité ?

    Tel président, élu en 2012 avec 18 millions de voix (sur 37 millions de votants, 46 millions d’inscrits), neuf mois plus tard, voit les trois-quarts de la population se détourner de lui, malgré les « faits d’armes » de ses légions en Afrique. Comment aurait-il jamais 4 millions de lecteurs, s’il eut, un moment, quatre fois plus d’électeurs ?

    C’est ce que dit, sèchement, gravement, l’un des chefs des services de sécurité israéliens, dans l’extraordinaire film documentaire de Dror Moreh, The Gatekeepers : du temps de Ben Gourion (comme du temps de Churchill, de Gaulle, d’Arafat…), « il y avait quelqu’un, dans le bureau, au bout du couloir, derrière la porte ». Maintenant, nous avons de plus en plus la glaciale certitude, à Jérusalem comme à Ramallah et Londres, Paris, que la pièce est vide, qu’il n’y a personne dedans.

    C’est face à ce vide que nous laisse le double départ de Stéphane Hessel et de Menachem Froman, en mars 2013. « La nature a horreur du vide », sait-on. C’est « à nous de jouer ! » nous lance Stéphane Hessel, comme ultime mot de passe, et titre de son livre testamentaire, à paraître prochainement.

     

    MENACHEM & IBRAHIM, CE N’EST QU’UN DEBUT… (2013 -     )

    Que nous manque-t-il donc, pour sortir du cagibi de l’auto-satisfaction, des frustrations de plomb, et de ce marasme continu de morgue et d’ennui, de désespérance ? Trop souvent, il nous manque d’avoir croisé sur nos chemins des hommes tels que Stéphane Hessel, Menachem Froman, Ibrahim Abou El Hawa. Ces passeurs de lignes, ces explorateurs, qui n’ont pas eu peur de s’extraire de leurs mondes fabriqués, de leurs habitudes, et de partir, à la rencontre de l’Autre, à la grande Aventure de cette rencontre interdite par les convenances et la peur.

    Songez : demander aux autorités carcérales de votre pays l’autorisation de se rendre en prison, pour y rencontrer le Diable en personne, le chef des ennemis les plus acharnés, dont on vous a toujours dit qu’ils sont un ramassis de fanatiques, de terroristes ! C’est ce qu’a fait Menachem Froman, lorsqu’il rendait visite au Sheikh Ahmed Yassin, emprisonné en Israël pour son rôle dans l’émergence du Hamas, dans les années 90.

    Que rapporte Menachem de ces rencontres, dans sa dernière interview ? (« The West Bank’s Rabbi Menachem Froman has the solution to the conflict » Haaretz, 20 juillet 2012). « Ahmed Yassin m’a dit une fois : toi et moi nous pourrions faire la paix en hamsa dakika – cinq minutes. Comment cela ? Parce que nous sommes tous deux croyants. » Au sens de vraiment croyants – en une toute-puissance qui nous déconcerte constamment, et surpasse notre entendement : facteur d’humilité directrice, de persistante modestie.

    « Y a-t-il un Dieu, ou n’y a-t-il pas de Dieu ? » demandait Menachem quelques mois avant son départ. «C’est une question que je me suis posée toute ma vie, en arrachant les pétales l’un après l’autre : «Il y a un Dieu », « Il n’y en a pas ». 

    A la question incrédule de la journaliste Ayelett Shani, « Vous n’êtes pas sûr ? », Menachem répondit : « Parfois, je suis sûr ; parfois, je suis sûr qu’il n’y en a pas. Toute ma famille a été massacrée en Pologne. La famille entière. »

    Souvent, autour de nous, les uns, les autres se découragent, et vont répétant que toutes ces tragédies, ces guerres se poursuivront jusqu’à la fin des temps, que cela a toujours existé, existera toujours. Incroyants en l’existence d’un Dieu, s’il y a une chose à laquelle ils croient, dur comme fer, c’est à la permanence du Mal, sous toutes ses formes. Quel paradoxe !

    Je préfère, de loin, la religion pacifique de Menachem, et de notre frère Ibrahim, sur le Mont des Oliviers. Ils n’ont jamais cherché à convertir personne. Je les ai toujours entendus parler de la possibilité d’être ensemble, dont leurs vies ont toujours donné l’exemple, contre vents et marées. En haut du Mont des Oliviers, au-dessus de Sainte-Marie Madeleine, et de ses dômes dorés, dans la vallée du Cédron, la Maison de la Paix, ouverte par Ibrahim à tous les pèlerins, et oiseaux de passage, de tous les pays – qui fut longtemps notre base arrière, au début de la seconde Intifada – reste ce foyer de gratuité et de rencontres sans équivalent, dans toute la zone de Jérusalem.

    On y est reçu à toute heure du jour et de la nuit, et nourri, sans que personne vous demande jamais votre passeport, ni ne vous présente une facture. Chacun donne ce qu’il peut, ce qu’il veut, avant de partir. Et c’est là que nos premiers livres bilingues, anglais-arabe, anglais-hébreu (L’esprit de Luther King, Plutarque : Comment tirer parti de vos ennemis) ont été entreposés, comme clandestinement, de 2003 à 2006.

    Ces livres étaient, et restent, de la dynamite. Comment répandre les armes de la coexistence, du respect de l’Autre, là où dominent la démence des expropriations forcées, des attentats et des assassinats « ciblés » ?

    Menachem disait que ce qui manque le plus, pour parvenir à une solution, c’est « un peu de foi ». De foi en l’Homme. Il parlait de « purifier la religion de l’aspect idolâtre qu’elle contient. Ne pas prendre les valeurs comme idoles, et vous sacrifier pour elles, leur sacrifier vos enfants, mais voir plutôt l’aspect humain. Telle est la disposition humaine.

    Tel est le but humain : être un Homme, un mensch, comme ils disent en yiddish. L’essentiel est d’être un être humain, tout le reste n’est que moyens… En d’autres termes, la lumière humaine est un cran au-dessus de la lumière juive. Je pense que c’est ainsi qu’il faut se forger : être humain. »

    Alors, oui, sans doute, nous avons perdu l’accès physique à deux êtres uniques, irremplaçables, mais leurs voix, elles, parlent en nous, plus intensément que jamais – Menachem parlait longuement, au téléphone, il ne trouvait jamais le temps « long », et il en allait de même à Tekoa : il prenait toujours le temps, d’aller au bout de ses pensées, des possibilités du dialogue entamé. Il vous donnait toujours le sentiment du possible, de l’importance exceptionnelle de la Rencontre. Et c’est ce que je garderai le plus de lui, pour le partager.

     

    ISRAEL-PALESTINE (2000-2013) EN 13 DATES

    A ceux qui ont le vertige, face au Moyen-Orient, je dirais de ne pas s’affoler en vain. De prendre du recul. Se souvenir de ce qu’ont duré les guerres européennes, entre Français et Anglais, Français et Allemands. Nous ne remonterons pas jusqu’à Nelson et Napoléon, jusqu’à l’Empire français contre le Kayser et Bismarck, ni jusqu’à Abel et Caïn.

    Juste à l’An 2000, et au début de la seconde Intifada, le 28 septembre, sur l’Esplanade des Mosquées. Les Accords d’Oslo avaient été signés 7 ans plus tôt, mais autant reconnaître que personne n’y croyait, pas plus d’un côté que de l’autre. Après la signature, aucun des camps ne s’est donné les moyens d’une éducation concrète à la co-existence. On s’est contenté de gérer la séparation des territoires et des peuples, comme si de rien n’était. Comment cela aurait-il pu durer ? Quelle entrée dans le millénaire : Jérusalem brûle !

    2002 : au plus fort des combats en Cisjordanie, 200 militants palestiniens s’enferment dans l’Eglise de la Nativité – le plus haut lieu de la Chrétienté, puisque reconnu comme sanctuaire de la naissance du Christ. Assiégés par l’armée israélienne, ils y resteront retranchés 40 jours, du 1er avril au 22 mai 2002, avant de se rendre, et d’être déportés, les uns vers Gaza, les autres en Europe.

    2003 : Le 20 mars, les Américains lancent leurs bombardiers et leurs troupes pour une invasion soudaine de l’Irak, sans déclaration de guerre préalable. Ils laisseront derrière eux 150.000 morts civils à leur départ en 2011, un pays déchiré et une situation explosive, où des attentats ont lieu pratiquement tous les jours.

    2004 : Yasser Arafat meurt en France, le 11 novembre. Depuis janvier 2002, nous étions en pourparlers pour diffuser dans les lycées une série de livres bilingues (Martin Luther King, Plutarque pour commencer).

    2005 : Le 11 septembre, les derniers des 9.000 colons juifs de Gaza sont évacués, conformément au plan établi par le Premier Ministre, Ariel Sharon, à partir de 2004. Ariel Sharon tombe dans le coma début janvier 2006, et n’en sort plus. Il est démis de ses fonctions au bout de 100 jours.

    2006 : Le 25 janvier 2006, les premières élections législatives palestiniennes consacrent la victoire du parti Changement & Réforme (Hamas), qui forme son premier gouvernement présidé par Ismaël Haniyeh. Après un long entretien en avril, à Ramallah, avec le Vice-Premier Ministre de Cisjordanie, Nasser Al Shaer, nous recevons l’accord écrit pour le lancement de notre « Programme Expérimental Bilingue » (d’éducation à la non-violence) signé par l’Autorité Nationale Palestinienne le 19 juin. Le 25 juin 2006, le caporal tankiste Gilad Shalit est capturé par un commando palestinien, sur la frontière Est de Gaza, après un échange de tirs qui laisse deux morts chez les Israéliens, deux morts chez les Palestiniens. En réaction, Israël enlève une quarantaine de parlementaires en Cisjordanie, dont le Vice-Premier Ministre Al Shaer, mettant ainsi fin brutalement à la première expérience démocratique palestinienne.

    Le 12 juillet 2006 éclate au Liban la 6ème guerre israélo-arabe (1948, 1956 – Suez, 1967 – 6 Jours, 1973 -- Kippour, 1982 – Liban). Elle durera un mois, et laissera derrière elle plus de 1.400 morts chez les Libanais, 166 chez les Israéliens (et 1.500 blessés, contre 4.400 chez les Libanais). De l’avis général, c’est une défaite pour Israël : au dernier jour de la guerre, autant de roquettes sont tirées du Liban sur les cités du Nord d’Israël qu’au premier.

    Le 15 juin 2007, Hamas prend le contrôle de la Bande de Gaza. Commence alors le siège de ses 1,7 millions d’habitants.

    Du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009, Israël lance l’Opération Plomb Durci sur Gaza. 1.400 morts palestiniens. 14 morts israéliens.

    Le 31 mai 2010, le navire turc Mavi Marmara, avec à son bord des centaines de volontaires civils qui veulent « briser le siège de Gaza » est pris d’assaut, de nuit, au large de Gaza, par des vedettes de la marine israélienne. 9 passagers sont tués par les commandos israéliens durant cette opération.

    Le 25 janvier 2011 commence la Révolution égyptienne, insurrection pacifique, dite Révolution du Lotus, ou Révolution du Papyrus, après celle de Tunisie, également pacifique, dite Révolution du Jasmin.

    Le 19 mars 2011, douze chasseurs-bombardiers français lancent les premiers bombardements sur la Libye.

    Le 10 janvier 2013, les premiers Transall militaires français atterrissent sur l’aéroport de Sévaré au Mali.

     

    GAZA, HYPOCENTRE DE L’INJUSTICE

    Dans notre dernière Lettre de Liaison, du 15 janvier 2013, nous avions donné la parole, dans l’urgence, à l’ex-premier ministre Dominique de Villepin, affirmant hautement, à propos de l’intervention militaire française au Mali, «Non, la guerre ce n’est pas la France ». Dans sa tribune, il martèle qu’ « il est temps d’en finir avec une décennie de guerres perdues. » Ces guerres qui « n’ont jamais permis de venir à bout des terroristes » et qui, « au contraire, légitiment les plus radicaux. »

    « Pire encore, ces guerres sont un engrenage. Chacune crée les conditions de la suivante. Elles sont les batailles d’une seule et même guerre qui fait tache d’huile, de l’Irak vers la Libye et la Syrie, de la Libye vers le Mali en inondant le Sahara d’armes de contrebande. Il faut en finir. »

     

    Sa voix n’est ni partisane, ni isolée. Le 2 septembre 2012, le Prix Nobel de la Paix Desmond Tutu (Afrique du Sud) a fait sensation en Angleterre, en refusant de s’asseoir à côté de l’ex-Premier Ministre Tony Blair, et en déclarant qu’il devrait être déféré devant une Cour de Justice Internationale, avec George Bush. 

    « L’immoralité de la décision des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne d’envahir l’Irak en 2003, fondée sur un mensonge, selon lequel l’Irak possèderait des armes de destruction massive, a déstabilisé et polarisé le monde bien davantage que tout autre conflit dans l’Histoire. »

    « Le potentiel d’attaques terroristes a-t-il diminué ? Dans quelle mesure avons-nous réussi à rapprocher les mondes ‘islamique’ et ‘judéo-chrétien’ ? »

     

    Lettre n°73 - mars 2013

    De l’an 2000 à 2012, les Messageries de la Paix ont effectué 21 voyages en Israël-Palestine, dont la moitié d’octobre 2000 à octobre 2005. Nous avons mené 5 campagnes avec les Prix Nobel, les parlementaires européens, et des personnalités telles que Stéphane Hessel, les astronautes d’Apollo 9 et Apollo 14 Edgar Mitchell et Russell Schweickart, Yasmina Khadra, John Mayall, Maud Fontenoy, Martin Gray…

    Nous ne pouvons que confirmer les analyses et mises en garde de Desmond Tutu et Dominique de Villepin. Début 2005, on considérait la seconde Intifada terminée. Notre 3ème campagne, « Contre la terreur et pour le sens commun », accompagnait le retrait israélien de la Bande de Gaza, et de deux colonies de la région de Jénine (au Nord). La période prêtait à un optimisme raisonné. C’est en 2006, à partir de la disparition de Sharon, de l’embrasement du Liban, et de l’implantation américaine massive en Irak, que la situation au Proche-Orient a basculé – lorsque l’Union Européenne, notamment, a refusé de traiter avec le gouvernement issu des élections palestiniennes.

    La deuxième guerre du Liban et la capture de Gilad Shalit ont révélé la nouvelle vulnérabilité d’Israël. Le jeune tankiste israélien (fait prisonnier avant son 20ème anniversaire) est resté détenu 1942 jours : 64 mois et 22 jours : 5 ans et presque 5 mois. L’opération « Plomb Durci », fin 2008, n’y a rien changé. Gilad Shalit demeurait hors d’atteinte. L’attaque du navire turc Mavi Marmara, le 31 mai 2010, confirmait l’étanchéité du siège de Gaza. En 2011, la Seconde Flotille pour Gaza resta bloquée dans les ports grecs. Depuis, il n’est plus question de tentatives de ce type (il y eut 4 convois « Viva Palestina » de février 2009 à novembre 2010, via la France, l’Espagne, le Maghreb, la Libye et l’Egypte – alternativement, via l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, la Grèce, la Turquie, la Syrie, l’Egypte).

    2011, avec la guerre en Libye, puis son extension à la Syrie, met fin à ces « lifelines », « lignes de vie », de solidarité, vers Gaza. Aux soulèvements pacifiques des Tunisiens et des Egyptiens succède la militarisation des insurrections, avec leur coût humain : plus de 60.000 morts en Libye en 2011, autant en Syrie de 2011 à 2012. Le rêve de 2008 d’une Union pour la Méditerranée a vécu. Pire : Gaza assiégée depuis 2007 n’est pas « l’épicentre de l’injustice » pour le monde musulman, selon la formule de certains adversaires de Stéphane Hessel, mais plutôt son hypocentre.

    Hypocentre : le foyer, point de départ de la rupture sismique sur la faille, lors d’un séisme. C’est la projection de l’hypocentre sur la surface terrestre que l’on nomme épicentre. Dans la perception islamique mondiale, le « martyre » de ce million et demi de Musulmans coupés du monde parce qu’ils sont musulmans, et l’ont exprimé dans leurs votes, est bien cet hypocentre, foyer de référence de tous les séismes qui embrasent l’Oumma, la communauté islamique mondiale, de Malaisie en Mauritanie, de Somalie au Mali, du Niger au Nigéria.

    Déplacer le problème en Libye, puis en Syrie (cf « pourquoi il faut armer les rebelles syriens », éditorial du Monde du 24 février 2013), au Mali, permet de prolonger le siège de Gaza d’autant (devenu, du coup, inaudible) mais ne résoud rien de la fracture qui s’approfondit entre Orient et Occident, entre le monde islamique et le monde « judéo-chrétien ». L’occupation de l’Irak à partir de 2003 a surmultiplié cet antagonisme séculaire (qui remonte à l’occupation arabe de l’Espagne du 8ème au 15ème siècles – Poitiers, 732 ! –, aux Croisades du 11ème au 13ème siècles, puis à la capture et à l’esclavage de centaines de milliers de Chrétiens en Afrique du Nord du 16ème au 19ème siècles, sans oublier la colonisation de l’Afrique du Nord et de l’Afrique de l’Ouest). Les opérations militaires en Afghanistan, et au Pakistan, de 2001 à maintenant, n’ont fait qu’aggraver en profondeur cette tension croissante, insupportable.

    En mars 2012, à Toulouse et Montauban, c’est d’abord à 4 parachutistes français de retour d’Afghanistan que s’en prend l’islamiste Mohamed Merah – « tu tues mes frères, je te tue » -- (lui-même de retour du Pakistan et des zones tribales jihadistes du Nord-Waziristan) avant de massacrer des enfants et un rabbin d’une école juive, symboles à ses yeux de « l’oppression des Palestiniens par les sionistes ». Selon le ministre de l’Intérieur français, il existait en France, fin 2012, « sans doute des dizaines de Mohamed Merah ». Estimation qui sera reprise en écho par un porte-parole du chef djihadiste Belmokhtar, le 21 janvier 2013, suite à l’intervention au Sahel : « J'espère que la France se rend compte qu'il va y avoir des dizaines de Mohamed Merah et de Khaled Kelkal. »

    Simple coïncidence ? Les enquêteurs ont retracé le parcours initiatique de Mohamed Merah auprès d’un couple syrien installé en France, les Qorel, dont on affirme qu’ils sont membres de la mouvance des Frères Musulmans en Syrie, et qu’ils ont contribué, avec le frère aîné de Mohamed Merah, au départ de dizaines de candidats djihadistes vers l’Irak et la Syrie. Syrie, plaque tournante entre Irak-Iran-Afghanistan-Pakistan et Palestine-Egypte-Libye.

    On comprend l’effarement de commentateurs algériens (exposés de 1991 à 2002 à une guerre civile qui a fait plus de 100.000 morts, autre produit de l’exportation des doctrines salafistes d’Arabie saoudite et du Qatar) : « La France combat les djihadistes au Mali et les aide en Syrie » (Boumendil, Le Courrier International, 1er mars 2013). « Comment peut-on combattre les djihadistes du Mali et les qualifier d’"ennemi extérieur" pendant qu’on arme, qu’on encadre et qu’on soutient politiquement ceux qui sévissent en Syrie ? » interroge M. A. Boumendil. « Comme en Libye, devenue désormais ingouvernable, la France, sous Sarkozy d’abord et sous Hollande, ensuite, se retrouve à l’avant-garde des pays réclamant le départ de Bachar El-Assad et organisant, avec ses "amis" du Golfe [notamment du Qatar], le financement, l’armement et le soutien logistique de l’opposition armée syrienne que l’on sait pourtant largement dominée par des groupes djihadistes… ».

     

    PERSPECTIVES POUR 2013

    Les Américains ont désavoué la dynastie Bush avec la ré-élection de Barack Obama, qui a décidé le retrait des troupes d’Afghanistan pour 2014. L’aventure française au Mali montre clairement combien la France est isolée en Europe. 75% d’opinions défavorables au président français consacrent, là aussi, le plus évident des désaveux. La dernière opération israélienne à Gaza, en novembre 2012 (140 morts), a montré plus que jamais les limites du rapport de forces. Un équilibre de dissuasion s’est finalement établi en quelques années, entre Palestiniens et Israéliens. Il faut voir le film documentaire The Gatekeepers, écouter ce qu’ont à dire les chefs des services de renseignement israéliens !

    Ce que nous avons appris en Palestine, depuis l’an 2000 : jusqu’en 2004, nous étions à la surface des choses, n’ayant de contacts qu’avec la partie émergée (laïque) du système palestinien. A partir de la mort d’Arafat, fin 2004, c’est à un véritable vide du pouvoir que nous nous sommes heurtés à Ramallah, en permanence. Le tournant de 2006 nous a permis de découvrir la « face voilée » de la Palestine, de Jénine à Gaza, qui incarne l’ensemble de la résistance palestinienne à l’occupation. Menachem Froman avait montré la voie : ils existent, c’est avec eux qu’il faut dialoguer, négocier. Plutôt que dépenser 2 millions d’euros par jour ( ! ) à guerroyer dans les Adrars du Mali, alors que des chômeurs, à Nantes, à Bois-Colombes, s’immolent par le feu, et que l’on compte 3,2 millions de chômeurs, 3 millions d’enfants pauvres en France, il faut prendre la mesure de ce que nous pouvons réellement autour de nous, quelle que soit notre position. Il y a urgence. Avec, en tête, toujours cet hypocentre des séismes, qui a pour nom GAZA. Faire la paix avec un milliard et demi de Musulmans : en finir avec le siège de Gaza ! Démilitariser le rapport à l’Autre. Aux légionnaires, aux commandos, aux drones, substituer les ambassadeurs, les médiateurs, les hommes et les femmes de bonne volonté. Choisir les voies de la coexistence contre celles de la confrontation, du chaos permanent.

    Maintenant que Stéphane Hessel n’est plus parmi nous, c’est à nous de poursuivre avec nos relais, qui passent aussi par Ashdod, Ashkelon, Sderot… A nous de jouer ! comme il dit, dans un dernier souffle, sur un dernier sourire.