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    PEACE LINES

    MESSAGERIES

    DE LA PAIX

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    Amos Oz (1939-28/12/2018)

     

     

     

    Lettre de Liaison n°110

    15 décembre 2019

    Comment peut-on être pacifiste en 2020 ?

     

    • 1 - La demi-heure fatale

    “Je ne suis pas pacifiste. Je ne crois pas que l’on puisse faire face à la haine par l’amour. On ne combat pas la haine avec l’amour, mais par la capacité à s’organiser, par des messages clairs, avec force et détermination. On la combat dans les studios des media et sur le champ de bataille. On la combat en disant la vérité. »       Yaïr Lapid, 10 nov. 2019

    Ces mots de Yaïr Lapid, candidat au changement politique en Israël aux côtés de Benny Gantz, ont été publiés en écho à un texte sur l’antisémitisme (Une soirée en France) dont nous publierons des extraits prochainement.

    Ils posent un problème qu’il faut bien résoudre, au moment où tant de musulmans divisent le monde entre « Dar al-Islam : terre d’Islam » et «Dar al-Harb :  territoire de guerre ».

    Messageries de la paix, Peace Lines, nous sommes en zones de guerre, de conflits, depuis l’été 1993, de la Route Diamant de Sarajevo à Gaza et Jérusalem aujourd’hui. L’état de guerre, l’exercice de la violence armée, nous le haïssons, nous le dénonçons de toutes nos forces, et où que ce soit. Prière de lire les écrits de Jean Giono, de Izzeldin Abuelaïsh, Jean Jaurès, Hannah Arendt, Stephan Zweig, à ce sujet.

    Pour autant, nous sommes sans illusions sur notre route : la paix que nous voulons, lorsqu’elle est confrontée à des fanatiques haineux, à des fous de guerre, doit être défendue par les armes d’abord. Nous l’avons vécu en Bosnie, où notre action n’aurait pas abouti sans le bouclier armé de la Force de Protection des Nations Unies des généraux anglais et français Rose et Morillon. Nous l’avons encore vécu en Algérie, à la fin des années 90, où l’engagement de l’Armée Nationale Populaire algérienne, puis des milices patriotiques, a pu mettre en échec la terreur instaurée par les groupes islamiques armés.

    En ce sens-là, nous ne sommes pas pacifistes de caricatures, et ne l’avons jamais été.

    Lorsque le feu a pris, comme dans la charpente de Notre-Dame de Paris en avril cette année, c’est de brigades d’intervention d’urgence, avec tout leur matériel, que nous avons besoin, plus que de vœux pieux. Il y eut, à Notre-Dame, une demi-heure tragiquement perdue entre la première alerte de capteurs à 18h20, le 15 avril 2019, et 18h48, moment où les pompiers furent enfin alertés.

    C’est cette demi-heure-là qui est notre affaire, aux Messageries.

    Cette demi-heure est la pointe émergée d’un iceberg protecteur préventif, dont tout dépend.

       

    A 18h50, il est déjà trop tard. Le pire est en route.

    Messagers de coexistence, de survie partagée, nous jouons le rôle de capteurs d’anomalies dangereuses, de lanceurs d’alarmes, dans un monde fragilisé par le réchauffement climatique, les crises, l’indifférence, l’inconscience. Nous n’avons pas le droit à l’erreur.

     

    C’est sur le terrain que nous nous faisons capteurs, à travers les lignes de front de la guerre civile en Bosnie, ou dans les quartiers populaires d’Alger, dans les « camps de réfugiés » palestiniens (combien de temps peut-on rester un « réfugié » ? dix ans ? vingt ans ? à vie ?). Ce n’est pas dans le confort d’un bureau climatisé, par la lecture des gazettes électroniques.

    Les vérités du terrain, nous l’avons constaté partout, de Sarajevo, Belgrade, à Alger, Jérusalem, étant presque toujours aux antipodes de ce que les mass media donnaient à voir, à entendre.

    Ainsi, en Bosnie, nous avons tôt démasqué l’illusion d’une gentille république islamique en gestation au cœur de l’ex-Yougoslavie, comme au Kosovo nous avons constaté que, s’il y avait « épuration ethnique », à la finale, c’était celle des minoritaires serbes, non des majoritaires.

    • 2 - Une vision précise au niveau mondial

    Nous étions opposés à l’intervention franco-britannique en Libye en 2011, comme nous étions opposés aux interventions étrangères en Syrie, à l’intervention française au Sahel de 2013 à maintenant. Non par amour aveugle d’une paix élusive, mais par lucidité rationnelle : en Libye, en Syrie, en Irak, l’ouverture de la boîte de Pandore interventionniste a libéré bien plus de monstres (naissance de l’Etat Islamique, ravages sans fin, cohortes de réfugiés…) que de bienfaits hypothétiques.

    Si vous voulez vraiment comprendre la logique de toutes ces interventions armées, reportez-vous au classement des pays exportateurs d’armements, par le réputé Institut International de Recherche pour la Paix à Stockholm (SIPRI).

    Etats-Unis toujours en tête en 2018 (avec 41,5% du marché), suivis par la Russie (25%) et la France (7%), pour le trio de tête. Derrière, l’Allemagne (5%), l’Espagne et la Corée du Sud (autour de 4,5%). Enfin, la Chine (4%), le Royaume Uni (3%), Israël (près de 3%), et l’Italie (2,4%). Voilà la liste à jour des profiteurs de guerres dans le monde.

    Y a-t-il une évolution depuis l’après seconde guerre mondiale ? Oui, certains pays sont sortis du top ten des vendeurs d’armes de 1950 à 2017 : la République Tchèque, les Pays-Bas. Les Anglais sont passés de la 3ème place à la 8ème, les Italiens de la 7ème à la 10ème. Ces choix politiques sont bien le reflet d’une conscience collective des priorités, à l’intérieur de chaque communauté nationale. Les ventes d’armes révèlent la tendance profonde d’un peuple, par rapport à la peine de mort collective, à l’exportation des techniques de mise à mort.

    On peut toujours argumenter de la nécessité d’armements pour la défense d’un peuple, d’une terre. C’est un autre débat. La Suisse, la Pologne, le Brésil, le Canada, la Thaïlande, sans s’être alignés sur le Costa Rica (qui a supprimé son armée dès 1949) démontrent que l’on peut disposer de forces armées défensives sans pour autant faire commerce des armes.

    • 3 - Les implications personnelles d’une telle vision

    Nous ne sommes pas pacifistes, non. Alarmés par le dérèglement climatique qui nous expose tous à des catastrophes multiples, sur tous les continents, quelle que soit la richesse ou la pauvreté des pays, nous avons conscience que notre monde part en vrille, chaque année un peu plus. Notre monde. Pas celui des voisins d’à côté.

    Nous sentons le besoin de munitions, d’armes nouvelles, non létales, d’outils d’urgence.

    Parfois, le fardeau nous semble trop lourd à porter. A envisager même.

    Comme un interminable travail de tri des informations en avalanche.

    La dernière personne à avoir interviewé Martin Gray, le survivant du ghetto de Varsovie, en 2014, la québecquoise Mélanie Loisel, le dit sans fausse honte en avant-propos de leur dialogue :

    « …je ne sais pas, et je suis certaine que je ne suis pas la seule, par où commencer pour relever les défis de notre monde. (…) Comment faire pour mettre fin à tous ces conflits fratricides qui détruisent des vies humaines, des familles, des peuples ? Comment faire pour que les êtres humains arrivent à vivre ensemble sans abuser les uns des autres ? »

    C’est que nous vivons dans un brouillard permanent de données (chaînes télévisées, réseaux sociaux, media), qui nous obscurcit l’entendement, et la mise en perspectives de ce qui nous attend, de ce que nous pouvons surtout.

    Alors, il faut rompre avec ces chaînes, cette routine étouffante, paralysante.

    Rompre, partir, fuir, se retrouver enfin.

    Partir sans se retourner, avec un livre, un sac sur le dos, ou rien dans les mains. Vers un Ailleurs.

    Oser y aller. A pieds, tel le cinéaste Werner Herzog, qui marcha de Munich à Paris, en plein hiver, pour une amie à l’agonie. En stop, en train, en auto, ou en avion pour ceux qui le peuvent.

    Se désencombrer enfin l’esprit, se libérer des servitudes volontaires et de leurs dénis.

    Remettre en ordre ses priorités.

    De quoi ai-je vraiment besoin ? A quoi suis-je utile, irremplaçable ?

    Que puis-je ? Que puis-je transformer de moi ? de mon rapport aux autres, au monde ?

    Que puis-je comprendre ? Apprendre ?

    Que vais-je pouvoir donner à celles, ceux qui viendront après ? Comment ?

    « Un rêve que tu rêves seul n’est qu’un rêve. Un rêve que tu rêves ensemble est réalité. » dit Yoko Ono, l’amour de John Lennon.

    Un article du Monde du 13 décembre, La France des « ilôts » de résistance intellectuelle, politique et spirituelle, le pose ainsi : « Penser sa vie, mais aussi vivre sa pensée. » S’inventer « des formes de vie pour échapper à l’individualisme, au consumérisme, résister au fatalisme ».

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/13/la-france-des-contre-societes-et-des-oasis_6022697_3232.html

    Les munitions, les armes nouvelles, les outils dont nous avons besoin, c’est au contact des autres que nous allons les trouver, des autres qui se sont déjà mis en chemin, et qui cherchent, aussi.

    La première mission de Peace Lines, de nos Messageries (de la paix, de la solidarité, de la confiance en soi, de la résilience…) c’est de collecter les connaissances utiles pour y voir clair.

    D’où notre bibliothèque virtuelle, pour suivre au plus près ce qui se passe sur notre terrain, à la charnière même des continents : Israël/Palestine. La section Media Must Read : toutes les nouvelles qui permettent de mettre en perspectives, dans cet incroyable kaléïdoscope humain.

    http://www.peacelines.org/-a157253096

    Mais aussi, notre mine de cristaux, la section Hope, consacrée à tout ce qui se passe de concret, de constructeur, de prometteur, entre les gens, quelles que soient les étiquettes.

    http://www.peacelines.org/other-voices-2019-c30383998

    http://www.peacelines.org/other-voices-2017-c29043064

    Le 14 décembre 2019 notre bibliothèque en ligne a reçu 254 visiteurs, et 338 le 30 novembre.

    Ce sont plus de 200.000 pages ouvertes, par plus de 71.000 visiteurs, depuis sa création début janvier 2014.

    Dans le monde réel, c’est la Bibliothèque du Futur qui se construit au siège des Messageries, quelque part à l’Est de la capitale française, avec plus de 7.000 volumes (histoire, philosophie, biographies, guides et cartes, dictionnaires, sagesses, poésie, peintres, bandes dessinées… films… musiques…), et un formidable inventaire en cours. Pour un regain, une renaissance, de l’esprit cartésien, voltairien, hugolien, dans ce qu’il a d’universel ?

     
     

    4 les deux niveaux de paix (macrocosme et microcosme)

    A New York, le 23 septembre 2018, la désormais célèbre Greta Thunberg, à peine sortie du collège, prend la parole au siège des Nations Unies.

     « Je ne devrais pas être là, je devrais être à l’école, de l’autre côté de l’océan… Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses.(…) Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse, et tout ce dont vous parlez, c’est d’argent… »

    En Suisse, à Davos, en novembre, elle s’adresse aux leaders politiques réunis au Forum Economique Mondial, en ces termes :

    « Je ne veux pas que vous ayez de l’espoir.(…) Je veux que vous ressentiez la peur que j’éprouve chaque jour. Et ensuite, je veux que vous agissiez comme vous le feriez au milieu d’une crise. Je veux que vous agissiez comme si votre maison était en feu, parce qu’elle l’est. »

       

    Greta, les yeux grand ouverts, a pris une année « sabbatique », avant d’entrer au lycée. Elle a choisi ses priorités, assumé sa liberté. « Personne n’est trop petit pour faire une différence ». Elle s’est fait le relais de Severn Cullis-Suzuki, qui avait 12 ans lorsqu’elle est montée à la tribune du Sommet de la Terre, à Rio, en 1992 ; de Naomi Klein ; de Christian Mwijage en Tanzanie, avec EcoAct, start-up de recyclage des déchets plastiques ; d’Ella et Amy Meek (13 et 15 ans), dans le même esprit ; de Jean Jouzel et Pierre Larrouturou…

    Jean Jouzel, co-lauréat du Nobel de la Paix en 2007 avec le Groupe International d’Experts sur l’Evolution du Climat, ne fait pas partie des « catastrophistes ». Il dit que « L’effondrement n’est pas imminent. Je nous vois plutôt griller à petit feu. »

    La question que nous posent Severn, Greta, Ella et Amy, Naomi, Christian, et les autres, a le mérite d’être claire dans sa brutalité :

    Notre maison est en feu. Nous allons griller à petit feu. Tous.

    Que choisis-tu de faire, maintenant, pour nous protéger ?

    Au lendemain du premier Sommet de la Terre marquant, nous avons été quelques uns à nous rendre compte qu’un pays jusque-là « modèle » par sa neutralité entre Est et Ouest, son non-alignement, était en train de brûler à nos portes, d’imploser. Nous avons été quelques uns à nous porter volontaires dans cette zone de feu immédiat pour y enrayer la guerre. Avec l’aide, il faut le rappeler, des Casques Bleus de l’ONU, et des 33 Prix Nobel qui ont porté notre première campagne – l’Appel de Zenica, Sarajevo, aux combatants et dirigeants de l’ex-Yougoslavie.

    http://www.peacelines.org/bosnie-1993-1996-c24712792

    http://www.peacelines.org/bosnia-1993-1996-c24711616

    L’ex-Yougoslavie, en Bosnie, ne grillait pas à petit feu. La violence de l’incendie était effroyable.

    De là sont nées ces Peace Lines, Messageries de la Paix (de la médiation, du désarmement).

    Conscients qu’il existe deux sortes de paix à notre portée : une paix extérieure, objective, du macrocosme, qui se traduit par le silence des armes, l’arrêt des combats, des ambulances de l’horreur. Elle demande un engagement fort, collectif, jusqu’à extinction totale des flammes. Tous n’en ont pas l’énergie.

    Et une paix intérieure, réelle, profonde, quelles que soient les circonstances, l’environnement, à notre échelle, microcosmique.

    En toute logique, elles sont reliées.

    Plutôt que « Comment être pacifiste en 2020 ? » il faut se demander : « comment être en paix en 2020 ? ». Honnêtement en paix avec soi-même, sans alibis, sans faux-fuyants, ni artifices. Sans tricher avec soi-même.

    Il n’est pas de nuit mystique, ou de soudaine révélation, dans ce processus. Une meilleure conscience des choses, des rapports, vient lentement, par à-coups, avec des hauts et des bas.

    Certain(e)s d’entre nous sont favorisés par des rencontres que rien ne laissait prévoir, un milieu familial, un environnement favorable. D’autres, non. Les premiers portent une responsabilité plus évidente, quant à ce qu’ils font, ce qu’elles transforment, à partir de ce qui leur a été proposé, donné, transmis.

    Le philosophe Kant, dans son petit manifeste Qu’est-ce que les Lumières ? met radicalement en cause la paresse humaine, et la lâcheté, lorsque l’humanité sombre dans le renoncement et la passivité. Ne lui donnons pas raison plus qu’il ne convient, par rapport au poids des déterminismes sociaux.

    Si des enfants de 12, 13, 15 et 16 ans sont capables d’autre chose, pour que ce monde reste respirable, sans doute ont-elles eu des parents remarquables, mais elles auraient pu aussi avoir envie de faire comme les autres, et jouer avec leurs play-stations, leurs petits réseaux.

    Vient le temps, comme un éternel retour, des croisées de chemin, et des choix.

    Nous ne prétendons pas que ce soit facile forcément, mais là où croît le péril croît aussi ce qui sauve…Amos Oz, guetteur de flammes dans le désert, parti dans les étoiles un 28 décembre 2018, nous a laissé ce sourire : face à toute calamité, il y a toujours au moins deux options – se sauver à toutes jambes, et laisser brûler ceux qui ne peuvent pas courir. Ou bien prendre un seau d’eau, et le verser sur le feu. Si vous n’avez pas de seau, alors un verre. Et si vous n’avez pas de verre, une cuiller à thé. « Oui, je sais qu’une cuiller à thé est petite et le feu est énorme, mais nous sommes des millions et chacun de nous a une cuiller à thé. » Il proposait de créer un Ordre de la Cuiller à Thé, et d’en porter à nos boutonnières…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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